Perdre ses repères avec Carlos Cruz-Diez

Vue d'exposition © Atelier Cruz-Diez / Louise K. Mambi
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Passée sous les radars journalistiques, l’exposition Inter Lineas à La Patinoire Royale – Galerie Valérie Bach invite à revivre un temps fort de l’histoire de l’art: l’ère du soupçon perceptif induite par le cinétisme. À voir d’urgence.

On le sait, l’heure est aux relectures contemporaines de corpus historiques. En Italie, l’exemple vient entre autres de la Fondation Prada qui a remis sous les feux des projecteurs des plasticiens tels que Edward Kienholz ou William Copley. À Bruxelles, La Patinoire Royale – Galerie Valérie Bach s’inscrit dans cette même mouvance en programmant une figure stellaire de l’art optique et cinétique: l’artiste franco-vénézuélien Carlos Cruz-Diez (1923-2019). Inexplicablement peu répercutée par la presse, cette proposition est à ne pas manquer en ce qu’elle raconte toute une époque fascinée par les dynamiques perceptives. Cet engouement se comprend comme une réaction à des oeuvres trop longtemps marquées par la neutralité sensorielle et l’apathie contemplative.

Inter Lineas est articulée en deux volets. Le moins spectaculaire, mais pas inintéressant pour autant, consiste en une série de Chromographies sur aluminium, ponctuées parfois de cordons élastiques, parfois de lamelles plastiques translucides, mettant en évidence le caractère mouvant et instable des phénomènes lumino-chromatiques. Celles-ci mettent à mal les certitudes émanant de nos sens. Comme l’écrivait Jean Clay à la fin des années 60 « Le cinétisme, ce n’est pas ce qui bouge, c’est la prise de conscience de l’instabilité du réel« .

À ce titre, la deuxième partie de l’exposition, qui est la première lorsque l’on entre dans la galerie, coupe le souffle. Il s’agit d’un Environnement Chromointerférent (1974-2016) reconstitué, soit un espace brouillé par une multi-projection de quatorze projecteurs posés sur autant de supports en forme de colonnes blanches. Au milieu, huit ballons légers que le visiteur ne manque pas d’activer. L’impression qui domine est celle d’un environnement dématérialisé par la couleur et le mouvement. On y évolue avec cette sensation d’être sous psychotropes. Voici ce qu’en disait l’artiste en 2011: « Les Environnements Chromointerférents altèrent l’espace et transforment tout ce qui s’y trouve. Le tout premier, que j’ai réalisé en 1974; comportait moins de couleurs que les plus récents, mais générait déjà ce que j’appelle la relation entre le constant et le variable. Le variable, c’était la trame en mouvement. Le constant, c’était l’ombre (que les visiteurs) projettent sur la trame. L’interaction entre le variable et le constant donnaient une sensation d’instabilité similaire à celle dont on fait l’expérience lorsqu’on est assis dans le train et que l’on pense que « notre train » avance, alors qu’en réalité seul le train d’à côté bouge. La Chromointerférence produit cette ambiguïté de l’instabilité perceptive. » Attention, il ne reste plus que quelques jours pour savourer ce délicieux frisson lié à la perte des repères.

À La Patinoire Royale – Galerie Valérie Bach, à Bruxelles, jusqu’au 26/02. https://www.prvbgallery.com/

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