L’oeuvre de la semaine: Vanité ? Non, pire…

Guy Gilsoul Journaliste

Voici un crâne parmi 86 autres entourant d’autres oeuvres sur papier, des cyanotypes et des peintures qui, à la manière de fragments, évoquent des lieux construits ou de nature. Dans l’exposition, le silence est pesant.

Le choix des gris ou des teintes sourdes ainsi que la dématérialisation de la réalité par le recours aux translucidités et par le choix de certains supports, ici tendres comme le papier, là implacables comme le plomb, accentuent encore l’effet. Bernard Tullen (Genève 1960) entraîne en fait le spectateur dans une enquête dont chaque oeuvre n’est qu’un indice. Chaque « image » provient, soit de photographies réalisées par l’auteur lui-même, soit d’ouvrages scientifiques signés par George Montandon (1879-1944), un savant suisse qui, au fil des ans et de ses recherches, bascule dans le racisme « argumenté ».

Bernard Tullen, Skulls,
Bernard Tullen, Skulls,© Bernard Tullen et galerie Le triangle bleu Stavelo

Pourquoi, comment ? Comment peut-on, interroge l’exposition, passer son enfance dans le cadre enchanteur du lac de Neufchâtel, participer à des opérations humanitaires et des études ethnographiques puis terminer dans la police de Vichy ? Après des études de médecine puis d’anthropologie, Montandon, converti au communisme, mène ses premières observations en Ethiopie avant de rejoindre la Russie en 1919 où il réalise ses recherches d’ethnologue auprès des peuples Aïnous.

Défenseur des grandes causes, l’esclavage en Abyssinie ou encore le génocide indien aux Etats-Unis, il finit par intégrer l’équipe scientifique du Museum d’Histoire naturelle puis de l’école d’anthropologie de Paris. Et c’est là, à partir de 1930 que menant des recherches sur les causes du racisme, sa vie bascule. « Comment reconnaître un juif » (entre autres) paru chez Denoël en 1940 en fera un partenaire idéal de la politique du Général Pétain. Ses examens anthropométriques enverront ainsi de nombreux juifs vers les camps. En 1944, la version officielle fait état de son assassinat par les résistants. Selon Céline (qui fut l’un de ses mentors), il n’aurait été que blessé.

Bernard Tullen, comme d’autres artistes du même type (on songe aux enquêtes de Vincent Meesen) soulève ainsi des questions relatives aux dessous de l’Histoire autant qu’au trajet de personnalités aujourd’hui oubliées. Avec ce « crâne », on est donc aux antipodes des « Vanités » remises au goût du jour et de mille manières qui, du kitsch au clinquant et du cri aux fragilités, usent et abusent de cette iconographie dont la publicité s’est aussi largement servie. On est aussi très loin d’une leçon de morale…

Stavelot. Galerie Le Triangle bleu. 5 Cour de l’abbaye. Jusqu’au 10 juin. Du jeudi au dimanche de 14h à 18h30. www.trianglebleu.be

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