L’oeuvre de la semaine: le portrait confiné

Mdm Blême Blême, 2019 © Thorsten Brinkmann et VG Bildkunst Bonn 2018
Guy Gilsoul Journaliste

Quand l’Europe chavira, et qu’après 1918, elle compta les morts que lui avaient infligés les combats et l’épidémie de grippe, certains artistes firent du portrait, une arme de guerre.

Dada d’abord, à Berlin surtout dès 1920, puis durant la montée du nazisme et la grande dépression économique des années 30. En usant de l’objet banal récupéré pour les uns, du photomontage pour les autres, les images quittèrent les salons pour la rue. Raoul Haussmann, autoproclamé le « dadasophe » remplace sa tête par une machinerie à cadran et John Heartfields (dont Hitler et sa bande furent la cible privilégiée) enveloppe un visage de bourgeois d’un journal d’informations avec ce titre : « Ceux qui lisent les journaux capitalistes deviennent aveugles et sourds ».

En mai 2020, comment regarder ce portrait imaginé par l’Allemand Thorsten Brinkmann ? Comme dans celui de Battista Sforza de Piero Della Francesca, l’héroïne du jour pose « en médaille » sur un fond bleu pâle mais son visage, loin d’arborer la délicatesse de sa chevelure, est, comme dans le collage du dadaïste, enfermé mais cette fois, dans une boîte lisse toute aussi grise que cabossée. Emprisonnée, elle n’exhibe que les teintes de rose fané, de blanc jauni et de grisailles glacées. On sait que le portrait officiel n’a jamais été autre chose qu’une arme politique. Aux temps anciens, la pose comme la coiffe, le casque, les velours et les dentelles, tout faisait farine au bon moulin pourvu que le spectacle associe l’inaccessibilité de la beauté à celle du pouvoir. Les temps auraient-ils changé ? Mais quoi à la place ? Un témoignage ? Une charge, un acte de rébellion ? Une ironie ? Comme dans toute l’oeuvre de l’artiste allemand, il ne faut pas y chercher un message ciblé mais plutôt, comme à l’époque de la peste et du Decameron, un jeu. « On fait comme si ».

Puisant dans sa collection d’objets trouvés autant sur les trottoirs que sur les marchés, dans les poubelles que sur les bas-côtés du quotidien, l’artiste construit des personnages fictifs. Certains empruntent aux chromatismes du maniérisme italien, d’autres, à leur méthode savante d’associations. Ainsi, ce rose qui, dès que l’on prononce son nom, renvoie au père Duchamp qui, photographié en costume féminin par Man Ray en 1921, s’était fait appeler Rrose Selavy. Or, par ce redoublement de la première consonne, c’est aussi Eros, c’est la vie qu’il convoquait, cette énergie du plaisir que le créateur de 2020 revendique à son tour malgré les enfermements et la pauvreté qui plane autour du monde…. Une oeuvre à découvrir dans la galerie Hopstreet.

Bruxelles, Hopstreet Gallery. Rue Saint-Georges 109. www.hopstreet.be

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