L’OEuvre au Noir aux Martyrs : la liberté de pensée face à l’obscurantisme

© Nathalie Borlée
Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif/L'Express

Zénon, le héros de L’OEuvre au Noir, vit dans une époque où le danger est permanent pour les esprits critiques. Entretien avec Christine Delmotte, qui signe l’adaptation du roman de Yourcenar jouée au Théâtre des Martyrs, à Bruxelles.

Redoutable défi que celui d’adapter L’OEuvre au Noir pour la scène ! Ce roman magique n’est-il pas, au-delà du récit de la vie de Zénon, le médecin-alchimiste du XVIe siècle imaginé par Marguerite Yourcenar, une aventure mystique, imprégnée des idées de l’écrivain sur la science et l’hermétisme, l’athéisme et la foi ? C’est précisément la dimension philosophique du texte qui a inspiré Christine Delmotte, auteure de l’adaptation présentée au Théâtre des Martyrs, à Bruxelles, jusqu’au 14 février. « Je voulais que ce texte magnifique, plein de sagesse humaniste, soit lu et entendu, nous confie-t-elle. Il faut parfois confronter le spectateur à une oeuvre profonde, voire difficile. Ces dernières années, une pièce sur deux ou trois dont j’ai fait la mise en scène parlait de spiritualité, un domaine qui me passionne. J’aime partager mes émotions et inciter le public à lire ou relire le bouquin dont est tirée la pièce. »

Bauchau, Cotton, Nothomb… L’adaptation de romans au théâtre est une démarche récurrente chez Christine Delmotte. Elle y trouve des thèmes et des idées fortes qu’elle souhaite transmettre au spectateur. « Le roman me laisse une grande liberté lors du travail sur le plateau, où tout reste à inventer ». Sa mise en scène explosive et délirante du Sabotage amoureux, d’Amélie Nothomb, est restée dans les mémoires. Cette fois encore, comme dans Le Sabotage, elle a distribué la parole du narrateur et du personnage principal à une demi-douzaine de jeunes comédiens, hommes et femmes. Une façon de présenter plusieurs facettes de Zénon. « Je ne voulais pas faire peser la personnalité mythique et complexe du héros de Yourcenar sur les épaules d’un seul comédien », explique la metteuse en scène.

Des chants pour rythmer la pièce

La pièce est judicieusement ponctuée par des chants d’époque ou plus contemporains, l’une des comédiennes, Soumaya Hallak, soprano belgo-helvétique, conduisant vocalement un choeur envoûtant. Grande admiratrice de Yourcenar, Christine Delmotte a retenu, pour la scène, quelques passages mémorables du livre : les entretiens de Zénon avec son cousin Henri-Maximilien, gentilhomme aventureux et lettré ; avec son protecteur et ami le pieux prieur des Cordeliers, déchiré par les maux et le désordre du monde ; ou encore avec le chanoine Bartholommé Campanus, qui tentera en vain de convaincre le médecin philosophe, enfermé dans une prison de l’Inquisition à Bruges, de se rétracter afin d’éviter la tragique catastrophe.

L’abîme, chapitre central essentiel de L’OEuvre au Noir, est partiellement repris dans la pièce. Mais cette longue méditation « pleine conscience » de Zénon sur l’esprit et le corps est dépourvue de dialogues. Dès lors, elle est lue par les six comédiens, sortis pour l’occasion de la fiction et devenus conférenciers. D’autres passages montrent que les angoisses de Zénon, esprit critique indisposant l’Eglise, n’ont pas cessé d’être actuelles. « Le texte de Yourcenar prend une résonnance particulière dans l’actualité dramatique de ces derniers jours à Paris, reconnaît Christine Demotte. Il y est question de l’embrigadement religieux qui conduit au crime, de la liberté de pensée face à l’obscurantisme et du danger permanent d’exprimer ses idées ».

L’OEuvre au Noir, de Marguerite Yourcenar, adaptation et mise en scène de Christine Delmotte, Compagnie Biloxi 48. Au Théâtre de la Place des Martyrs, à Bruxelles, jusqu’au 14 février (theatredesmartyrs.be).

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