Les promesses scéniques de la Factory liégeoise
Lors de la semaine de la Factory (du 10 au 18 septembre), festival liégeois de créations théâtrales en gestation, le public a pu voir qu’à la crise ont survécu l’envie et le besoin des jeunes artistes de questionner notre monde. Retour sur quelques représentations et promesses à voir prochainement.
Cela faisait plaisir à voir la semaine dernière. Plaisir de constater que la machine à idées des artistes, des compagnies émergentes en particulier, n’a pas cessé de tourner pendant ces longs mois de lockdown des lieux de représentation. Le processus de création ne s’est pas trop enrayé même si les difficultés ont touché les jeunes créateurs. Il tient peut-être en ça le premier mérite de cette semaine de représentations, d’étapes de travail et de lectures proposée par le festival Factory, qui s’est clos samedi dernier et qui a été créé sous forme biennale en alternance avec le festival international des arts de la scène de Liège: il a donné l’opportunité à de nouvelles ou jeunes compagnies et auteurs d’essayer, de se tromper, de reprendre contact avec le public et le faire entrer dans leur laboratoire. Et dans les fioles et alambiques de la caserne du manège Fonck s’observaient, se dégustaient, se palpaient une création aboutie, huit étapes de travail et quatre lectures/présentations de projet.
Dans la programmation, les enjeux sociétaux étaient bien représentés: les féminismes (Marche salope, premier projet scénique de la photographe Céline Chariot), la gestion de l’héritage colonial (Tervuren de Céline Beigbeder), les fractures sociales… Au titre bien trouvé quand on en est encore à l’état d’ébauche, Répétitions générales du comédien et metteur en scène Rémi Faure étalait le cheminement de celui-ci partagé avec deux de ses partenaires de scène à réfléchir l’identité de l’homme politique aujourd’hui, sa gestuelle, son phrasé. Un projet encore timide ne promettant rien d’autre que dans sa présentation sinon l’état d’avancement d’un spectacle, teinté d’humour, fonctionnant au gré d’essais et d’erreurs. Dans une veine plus intime, à l’instar d’autres propositions de la Factory (J’ai les bleus de l’orage de Line Guellati, par exemple), 52 Hertz de Nora Boulanger Hirsch et Isée Rocaboy mettait en perspective les solitudes contemporaines en partant de l’histoire authentique d’une baleine qui, émettant à une fréquence indétectable de ses congénères, errait seule dans l’immensité océanique. Alimentant le propos de leurs problèmes d’insomnie, les deux créatrices travaillent sur un spectacle chorégraphique, vidéo et sonore encore en construction mais déjà interpellant. Outre ces promesses pas encore programmées aux saisons des théâtres, deux spectacles figurent déjà à l’agenda des prochains mois.
Les Dévorantes de Sarah Espour
Dans sa première création, seule à être présentée dans son entièreté durant le festival, Sarah Espour n’y est pas allée de main morte. Il faut dire que son sujet ne laissait que peu de doute à son potentiel d’interpellation de l’assemblée. Sur base de quatre cas spécialement choisis, celle qu’on connaissait comédienne nous lance d’entrée de jeu la question: comment la société considère-t-elle les crimes les plus horribles quand ils sont commis par des femmes? Exposant les affaires de Pauline Dubuisson (dont s’est inspiré Clouzot pour La Vérité), de Véronique Courjault (le dossier des bébés congelés), de Susan Atkins (disciple de Charles Manson ayant assassiné Sharon Tate) et d’Aileen Wuornos (tueuse en série condamnée à mort et exécutée en Floride en 2002), l’interprète, accompagnée d’un batteur sur scène, offre la démonstration que lorsque le crime s’accorde au féminin, le système judiciaire et criminologique y va de ses arguments psychiatriques et ses jugements biaisés, les considérant plus immoraux que s’ils n’avaient été commis par des hommes. Ponctuant ses récits de chansons originales, prouvant ses qualités de présence scénique et de chanteuse, Sarah Espour joue la carte de la provoc’, ne lésinant par sur les mots, une hache à la main. Le support documentaire exposé (sans artifice), il nous reste à méditer la réflexion de Gilles Deleuze sur le rêve des autres qui nous dévorent et les questions posées par cette prestation rock’n’roll assez rageuse, faute de pistes de réponse à peine esquissées. À revoir au Festival de Liège prévu du 5 au 26 février 2002.
Le Paradoxe de Billy de Ludovic Drouet
Précaution d’usage: nous n’avons pu voir que 45 minutes du spectacle du jeune auteur et metteur en scène. Prochainement visible sous sa forme aboutie à La Balsamine, Le Paradoxe de Billy pose son action à Saint-Hubert, capitale belge de la chasse et enquête sur la mort de deux jeunes motards dans la forêt. L’incohérence de la scène du crime nous challenge sur notre perception d’un espace-temps qui ne serait pas le nôtre. Un puzzle physique et mental délivré point par point par les principaux protagonistes de l’affaire, soit les victimes. Le polar sert ici de moteur et mène à une réflexion sur notre attitude à envisager l’incompréhensible, quand les règles logiques sont alors bousculées. Nous sommes face à une histoire à la fois amoureuse et sociale, construite par flash-back et interrogatoires, rejouée par des silhouettes dans la nuit. La scénographie et la lumière rasante -à travers les arbres ardennais- insufflent une atmosphère à la Twin Peaks, un sentiment de trouble dans lequel baigne l’avant-goût dévoilé. Une belle promesse à juger sur pièce prochainement.
Le Paradoxe de Billy, de Ludovic Drouet. Du 19 au 29 octobre 2021 à La Balsamine à Schaerbeek. www.balsamine.be. Et les 19 et 20 février 2022 au Festival de Liège. Programmation complète disponible prochainement sur www.festivaldeliege.be
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