Laurent Raphaël

L’édito: Le bal des cyniques

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’idéal de solidarité et d’égalité inscrit dans l’ADN de la démocratie moderne avait plus ou moins survécu à la faillite morale du néo-libéralisme actée en 2008.

« Morale » parce que c’est lors de ce séisme financier de grande amplitude -qui a eu raison de Lehman Brothers et a obligé les États, donc les contribuables, à renflouer les caisses des… coupables- que les ressorts obscènes de l’économie de marché sont apparus au grand jour. Mais sans sonner pour autant la fin des mauvaises pratiques et de la spéculation hardcore. Au contraire. L’hydre a juste remplacé les têtes les plus malades et le fameux un pourcent de la population mondiale qui rafle l’essentiel de la mise a repris de plus belle ses activités légales douteuses ou off shore carrément immorales.

Avec un sens raffiné du chantage, c’est d’ailleurs au nom de la préservation d’un relatif bien-être sous nos latitudes que la classe éco de l’avion a été sommée de raquer pour sauver les traders aux primes indécentes qui risquaient d’emporter le système tout entier, acquis sociaux compris, dans leur chute. Depuis, idéologiquement, c’est le grand flou, un bricolage de tous les instants. Mais même sans trop savoir où on allait ni comment on allait y aller, quelques valeurs cardinales d’un humanisme graissé au multiculturalisme et à la mondialisation semblaient avoir survécu à la tempête. Tant qu’on restait collectivement conscients et persuadés de l’utilité des efforts consentis pour rallier un horizon moins gris, l’espoir était permis. Presque dix ans plus tard, il faut pourtant se rendre à l’évidence: ces beaux principes ne sont plus que de la confiture étalée sur les esprits crédules. Le vernis de crédit qui reste encore s’effrite un peu plus à chaque affaire de corruption, de blanchiment de fake news ou d’élection de démagos amateurs de « faits alternatifs ».

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Sans tomber dans la complaisance du défaitisme, on voit bien que derrière le marketing politique la règle au plus haut niveau aujourd’hui, c’est profite tant que tu peux. L’intégrité, l’honneur, la probité, on laisse ça aux faibles, aux losers, aux utopistes. Publifin, Mayeur, Trump ou le voisin qui sort ses poubelles quand ça lui chante, à tous les échelons, chacun défend d’abord ses propres intérêts, plus ou moins bien camouflés dans un discours altruiste ou patriotique complètement bidon. Siphonner l’argent du Samusocial, il fallait quand même oser. On a tous nos petites faiblesses mais là, ça en dit long sur le malaise de l’époque. Un peu comme si on apprenait que l’abbé Pierre roulait en Porsche le week-end. à croire que ceux qui tiennent les leviers du pouvoir ne croient plus à ce monde meilleur, plus juste, qu’ils brandissent pour endormir les masses. Derrière le paravent rhétorique, ils appliquent déjà les règles cyniques de la société post- fraternelle ou post-égalitaire qui s’ébauche à vitesse grand V.

Tout le monde n’est pas dupe. Les lignes bougent. Il y a ceux qui donnent une dernière chance à la voix de la raison en misant sur la nouveauté avec Macron, ultime rempart contre ce populisme belliqueux qui a déjà fait son nid aux États-Unis ou en Hongrie. Il y a aussi ceux qui tournent radicalement le dos à l’hypocrisie ambiante, lassés d’attendre la réalisation des promesses. On songe à ces Blacks convertis au racialisme et à la non-mixité au motif que la lutte contre le racisme et les discriminations, puisqu’elle n’a abouti à rien ou presque en venant d’en haut, doit passer par un front uni des opprimés. D’où ces initiatives interpellantes comme le festival afroféministe Nyansapo, réservé à un public « racisé », qui se déroulera à Paris fin juillet. Un signe de plus de l’échec du cosmopolitisme. La fiction se fait l’écho de ces désillusions en cascade. Dans le troisième tome de Vernon Subutex, la radioscopie fulgurante de la France par Virginie Despentes, une des protagonistes qui travaille dans un centre de désintox se retrouve démunie devant un migrant de 20 ans qui a appris le français en pensant que ça l’aiderait à avoir des papiers: « Elle ne peut rien faire pour lui. On s’habitue certes. Mais on se souvient, quand même, d’une époque où on prétendait que la vie humaine avait un peu de valeur. » Tout est dit. Pour survivre dans cette jungle, un bon fond ne suffit plus. à l’image de l’avocat de la série Better Call Saul (lire notre décryptage de la 3e saison), obligé de passer du côté obscur de la force pour survivre. Du bon, de la brute et du truand, il n’en reste que deux. On vous laisse deviner lesquels…

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