L’Abbott secrète des séries télé anglaises
Le prolifique scénariste est à l’origine d’une sacrée brochette de séries britanniques au pedigree pour le moins déjanté. Dernière en date: No Offence. Portrait de Paul Abbott, bipolaire de talent.
Alors qu’une réunion au sommet se tient dans les toilettes communes, où une demi-douzaine de flics sont amassés pour faire le point sur une enquête, le commandant Vivienne Deering, distinguée comme un docker anversois, débarque pour se soulager. Tout le monde fait silence, derrière les portes. Sur le trône, l’imposante blonde se met à chanter (mal) le tube Reach out des Four Tops, ponctué par un « I’ll be there… » du plus douloureux effet. En sortant, Deering se reluque deux secondes dans le miroir et néglige de passer par la case savon-lavabo, au grand dégoût de ses subordonnés, tapis dans leurs cabinets respectifs. « Ah, Jésus, elle touche toute la paperasse que nous devons lire! », s’exclame alors une jeune policière.
La scène est tirée de No Offence, le dernier bébé en date de Paul Abbott, rapatrié récemment par France 2 pour combler deux lundis de février et mars. Une série qui mêle polar et comédie noire, voire potache, et qui, comme à chaque fois avec Abbott, n’hésite pas à plonger les mains dans le cambouis des petites réalités anti-glamour de la vie. Pour le coup, les trois rôles principaux sont dévolus à des femmes. Trois femmes flics qui tentent tant bien que mal de faire régner l’ordre dans un quartier cradingue de Manchester. « Dès le début de ma carrière, j’ai compris que les femmes étaient le pivot de la série moderne et que tout scénariste se devait d’écrire de beaux rôles féminins », confiait Abbott dans une interview accordée au site de France 2. Une règle qu’il a appliquée tout au long de sa carrière.
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Diffusée initialement sur Channel 4 en mai dernier, No Offence complète donc un CV pour le moins costaud. Avec Steven Moffat (Doctor Who, Sherlock), Paul Abbott fait en effet partie de ces scénaristes télé anglais dont on reconnaît la patte et dont on attend attentivement les nouveaux exploits. Ce statut, il le doit notamment à Shameless, fiction puisée dans les réminiscences de sa jeunesse et adaptée aux Etats-Unis (sur Showtime) depuis 2011 -William H. Macy y interprète le rôle d’un père de famille célibataire, alcoolique et profiteur, qui règne distraitement sur une famille de six enfants. Une famille pour le moins dysfonctionnelle dans laquelle la grande soeur, 17 ans, tient l’église au milieu du village. Abbott lui-même a connu pareille situation. En pire.
Quand il est enfant, ses deux parents se barrent tour à tour, le laissant apprendre la vie par lui-même, avec sa tripotée de frères et soeurs. Le bilan est lourd: à 11 ans, il est violé par un inconnu. A 16 ans, il a déjà derrière lui plusieurs tentatives de suicide et un séjour en hôpital psychiatrique. Pas exactement ce qu’on appellera une jeunesse dorée. Bipolaire, Paul Abbott en garde des séquelles -il entend des voix. Des voix qui, dit-il, font partie du processus créatif…
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Prolo mais rigolo
Mais ce démarrage pour le moins dramatique dans la vie lui aura permis de se prendre en charge rapidement et de développer des talents d’écriture précoces. Tout jeune, il perce. D’abord en radio, où l’on remarque rapidement son style. Puis en télé (la série mythique Coronation Street lui offre une place dans sa salle d’écriture), où son sens affuté du dialogue et des personnages atypiques va lui ouvrir les portes de toutes les grandes chaînes insulaires. Du drame policier Touching Evil à la plus politique State of Play, en passant par la série d’anthologie Clocking Off (qui s’intéresse au destin des travailleurs d’une usine textile de Manchester), Abbott avance ses pions comme autant de pierres portées à l’édifice d’une véritable oeuvre télévisuelle. Qu’il soit créateur de la série ou scénariste occasionnel, il travaille, à la manière d’un J.J. Abrams anglais, à une grosse vingtaine de titres. Dont Shameless, naturellement, mais également le très remarqué et très hybride Hit & Miss, dans lequel un tueur à gages transsexuel (interprété par une étonnante Chloë Sevigny) s’occupait tant bien que mal d’une famille, en assurant par ailleurs son détonant boulot. La thématique familiale n’est donc jamais très loin chez Abbott, tout comme l’ancrage dans les réalités sociales d’une Angleterre où prolo rime avec rigolo. Le drame purement social, très peu pour lui, mais en filigrane de ses scripts se lit toujours une tendresse pour les classes sociales défavorisées qui se débrouillent comme elles peuvent. Aujourd’hui, à 56 ans, Abbott n’a pour sa part plus à s’en faire financièrement. Dans sa maison du centre de Londres, il s’attèle tous les matins à l’écriture, à 6h tapantes, jetant probablement les bases d’une future histoire déjantée que les télés d’Outre-Manche se battront bientôt pour réaliser. Et qui, comme d’autres scripts de sa signature, pourrait lui décorer la cheminée d’une nouvelle récompense.
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