Eros au scalpel, les sulfureux nus d’Egon Schiele

TWO GIRLS EMBRACING (TWO FRIENDS), 1915. © MUSEUM OF FINE ARTS, BUDAPEST © © MUSEUM OF FINE ARTS, BUDAPEST

Sulfureux, les nus d’Egon Schiele conservent quelque chose d’inexplicablement gênant. Peut-être un érotisme brûlant ? Aux cimaises de la Courtauld Gallery, à Londres : 38 nus féminins et masculins. Des aquarelles et des dessins.

Difficile d’estimer la notoriété qu’Egon Schiele (1890-1918) aurait rencontrée s’il n’avait été foudroyé par la grippe espagnole à l’âge de 28 ans… La Courtauld Gallery rend hommage à cet artiste d’une rare envergure – fervent disciple de Gustav Klimt – à travers un prisme tout particulier : celui de la nudité.

S’il débute de manière classique, Egon Schiele négocie déjà son virage stylistique, très expressif, en 1910. Il commence à dessiner la figure humaine d’une manière totalement nouvelle : il livre du corps nu sa vision radicale. Très personnelle. On relève une économie de moyens, un emploi de la couleur tout à fait singulier mais surtout, une virtuosité qui vient presque systématiquement nous interpeller.

L’art de la provocation

A la manière d’un chirurgien, Egon Schiele découpe ses modèles au scalpel. Il fait ressortir le sujet par l’usage de contours tranchés, durs et anguleux. Cette ligne « brisée » (véritable marque de fabrique de l’artiste) tatoue ses oeuvres d’une charge brutale dégagée de toute douceur. D’ailleurs, le corps est le plus souvent livré sans pudeur.

L’homme était passé maître dans l’art d’inventer des points de vue faisant apparaître des corps tordus, crispés ou déformés. Dans son atelier, il se servait d’une échelle. Il pouvait dessiner rapidement dans son carnet de croquis, en se tenant debout en équilibre sur un des barreaux, directement au-dessus du modèle allongé au sol ou sur le sofa. Il parvenait de cette manière à obtenir l’angle de vue adéquat. Ces positions, totalement inhabituelles, ne sont pas étrangères au caractère très cru de ses représentations. Renforçant cette impression, le sexe est souvent au centre de la composition, comme dans une perspective centrale.

En outre, Egon Schiele ajoute à ses nus – sujets traditionnels traités ici de manière fort peu conventionnelle – une pointe de provocation. Pour la société de l’époque (bigote et puritaine), ses dessins et leur connotation érotique passent mal. Cette nudité totale, synonyme d’une sexualité exacerbée, apparaît irritante. Agressive. En 1912, l’insouciance du peintre dans le choix de modèles extrêmement jeunes (qu’il immortalisait dans des poses quelquefois  » douteuses ») le conduira à la fameuse affaire Neulengbach. Accusé d’un prétendu détournement de mineur, l’artiste est arrêté. Mais la plainte est bien vite jugée infondée. L’artiste sera néanmoins condamné à trois jours de prison pour « diffusion de dessins immoraux », une période de détention largement compensée par les trois semaines de préventives qu’il avait déjà supportées. Quant à juger le caractère licencieux des dessins ici exposés, on laissera à chacun le bon soin de se faire sa propre idée.

  • Egon Schiele. Le nu radical, Courtauld Gallery. Somerset House, Strand, à Londres. Jusqu’au 18 janvier. www.courtauld.ac.uk

Gwennaëlle Gribaumont

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content