En 2019, un élan noble mais pas toujours généreux

Parmi les artistes oubliées et remises à l'honneur, Lee Krasner, épouse de Jackson Pollock. © Ernst Haas/getty images
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

En 2019, curateurs, galeristes et autres directeurs d’institutions ont décliné l’histoire de l’art au féminin. Devoir de mémoire.

A l’instar de la divinité Moloch dans l’Antiquité, le monde de l’art a besoin d’un apport régulier de chair fraîche pour continuer à tourner. La demande de nouveauté est à ce point essentielle à ses rouages qu’une pénurie contribuerait à gripper tout le système, des galeries aux musées. Sans parler des collectionneurs qui se lassent vite d’un marché bègue. Depuis quelques années, on en a vu défiler, des séquences! Oui, l’art, lui aussi, vit au gré des modes qui se succèdent. Il suffit de se repencher sur les programmations passées des acteurs clés pour se remettre en mémoire les tendances qui ont traversé la décennie écoulée. Il y a eu ainsi la vogue de « l’artiste chinois », qui a fait souffler un vent d’exotisme sur la création; le fantasme de « l’épicentre improbable » (dont l’exposition à feu La Maison rouge à Paris, My Winnipeg, consacrée à la toute petite capitale du Manitoba, territoire isolé du reste du monde six mois durant et donc considéré comme épargné de la globalisation des formes); ou encore, la frénésie du « jeune artiste », cet ectoplasme plastique qu’il était bon d’exhumer du néant (avant que, à 90% de chances, il n’y retourne aussitôt).

Pour ce qui est de 2019, le message a été clair, même si le mouvement était déjà amorcé. L’heure est désormais aux artistes oubliées, entièrement ou partiellement, par l’histoire de l’art, ce que d’aucuns ont nommé, avec une pointe de méchanceté, « l’heure des vieilles dames ». De Paris à Londres, les exemples d’expositions qui leur étaient dédiées se sont accumulés. Dans la capitale de la Grande-Bretagne, c’est indubitablement le remarquable accrochage consacré par le Barbican Centre à Lee Krasner, peintre au talent indéniable ayant vécu dans l’ombre de son Jackson Pollock de mari, qui rend compte du phénomène avec le plus de fidélité. En France, il faut pointer les hommages rendus dès la seconde partie de 2018 à Paula Rego, Sheila Hicks, Anu Põder ou encore Ceija Stojka. Plus largement, c’est tout un contingent de plasticiennes ayant une importante production derrière elles qui a émergé depuis plusieurs mois, qu’il s’agisse de Nil Yalter, Geta Bratescu, Valie Export, Dorothy Iannone, Sister Corita Kent, Yayoi Kusama, Judy Chicago, Carol Rama ou encore la Belge Lili Dujourie.

Gare à la dérive commerciale

A propos de Belgique, notre pays a-t-il suivi la cadence ? Oui, mais timidement. Pour l’année écoulée, il faut signaler la présence d’Etel Adnan à la Centrale for Contemporary Art, à Bruxelles (dont on précisera que l’invitation émane d’une autre artiste, Sophie Whettnall) ou encore le show inaugural du Delta, à Namur, qui a mis en évidence l’oeuvre d’une enfant du pays, Evelyne Axell. Difficile d’expliquer ces convergences autrement que par la volonté de coller aux revendications féministes apparues dans la foulée des mouvements #MeToo et autres #BalanceTonPorc. Faut-il s’en réjouir? Oui et non. Oui, assurément, si comme c’est le cas pour les artistes citées, ces initiatives permettent une réécriture plus proche de la vérité et plus juste d’une histoire de l’art écrite par les hommes, tout autant qu’elles contribuent à ouvrir les yeux au grand public sur des oeuvres fortes se tenant loin du formatage – on sait par exemple que, pour certaines plasticiennes, l’accès à la reconnaissance a été entravé parce que les galeristes se méfiaient d’elles en ce qu’une potentielle maternité pouvait ouvrir une brèche peu rentable dans leur carrière. En revanche, le rétro-féminisme est moins alléchant s’il se présente comme un bon filon commercial, contribuant à faire prendre des vessies pour des lanternes en sacrant une oeuvre uniquement pour cause de genre et d’âge. Il ne faut pas négliger les petits calculs de rentabilité rendus possibles par un goût du jour peu regardant: une artiste d’un certain âge ayant derrière elle une production abondante peut faire se frotter les mains d’une galerie peu scrupuleuse.

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