Laurent Raphaël

Édito: Bouillon de culture

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

C’est une polémique qui refait régulièrement surface depuis que Marcel Duchamp a culbuté un urinoir, l’a signé d’un pompeux « R.Mutt 1917 » et l’a rebaptisé Fontaine: qu’est-ce que l’art? A quoi sert-il? Où commence-t-il? Où finit-il?

Vastes questions, qui ont rebondi comme un Marsupilami cet été sous la plume frondeuse de Fabrice Raffin, maître de conférences à l’Université de Picardie Jules-Verne. Dans une carte blanche publiée dans le quotidien Libération et intitulée La culture, ce n’est pas que de l’art, le chercheur se livre à un long plaidoyer pour que les pratiques culturelles populaires ancrées dans un quartier, un village ou une ville, mais qui restent cantonnées dans l’angle mort de la Culture avec un grand C, soient mieux considérées, par les professionnels du secteur comme par les pouvoirs publics. Au débat épineux des frontières de l’art stricto sensu, il ajoute celui, plus glissant encore, des limites de la culture, en entonnant un refrain qui pourrait passer pour réac, voire démago, ou, au contraire, salutairement anti-bien-pensant -tout dépend du camp où on se place…

C’est une polu0026#xE9;mique qui refait ru0026#xE9;guliu0026#xE8;rement surface. Qu’est-ce que l’art? A quoi sert-il? Ou0026#xF9; commence-t-il? Ou0026#xF9; finit-il?

« Depuis plus de 20 ans, mes recherches sur les pratiques culturelles montrent que, pour des millions de personnes, la culture est quelque chose de à la fois de plus essentiel et de plus simple (que les formes artistiques établies, ndlr). D’une part, la culture ne se réduit pas à l’art. D’autre part, elle existe en dehors de toute institution« , observe le chevalier blanc. Qui se fend d’une liste non-exhaustive des mal lotis: « fanfares, clubbing, musiques amplifiées, cirque, théâtre mais dans leurs versions populaires, chant, slam, jeux vidéo, cosplay, comics, mangas. »

Des « cultures banales » victimes d’une triple peine selon Raffin: ludiques et festives, elles entrent en collision avec ce dogme diffus -et qui fait toujours plus ou moins jurisprudence- résumé par Malraux quand il affirmait que « si la culture existe, ce n’est pas du tout pour que les gens s’amusent« . Myopes, les élites appartenant aux classes moyennes supérieures auraient aussi tendance à prendre leurs désirs pour des réalités universelles, instaurant de fait le bon et le mauvais goût. Et enfin, effet pervers de cette « artistisation » (ou démocratisation culturelle) en cours depuis les années 80, et qui a permis d’ennoblir des disciplines jusque-là regardées de haut, comme la BD ou le hip hop, un faux sentiment d’ouverture et de plus grande tolérance se serait répandu, faisant oublier que le sens initial de ces pratiques auprès du public a été au passage dévoyé, détourné au profit d’une démarche purement esthétique ou cérébrale.

A une époque tentée par le relativisme absolu, mais où subsistent en même temps les vieux réflexes, cette interpellation nous place devant nos propres contradictions intellectuelles. Et pour cause, les frontières sont devenues spongieuses: des artistes autoproclamés se réapproprient les zones situées au-delà du périmètre cartographié par l’establishment (que ce soit le piercing ou la sculpture de glace, tous regroupés sous l’étiquette « wild art »). Après tout, des plasticiens qui ont pignon sur rue détournent bien des objets du quotidien, Andy Warhol hier, Mark Leckey, celui qui « enchante les matériaux vulgaires » (à voir au Wiels) aujourd’hui.

Vouloir hiérarchiser n’a plus beaucoup de sens dans un monde poreux et hyper connecté. La culture est un large fleuve alimenté par des affluents divers et variés. Comme pour la nourriture, ce qui compte c’est la variété. Or, si l’on en croit les conclusions de l’enquête dirigée par la sociologue Laurie Hanquinet, consignée aujourd’hui dans un livre, Du musée aux pratiques culturelles (éditions de l’ULB), on est loin du compte. N’en déplaise à Fabrice Raffin, il faut plutôt craindre que les adeptes des rassemblements populaires, aussi louables soient-ils, ne se frottent jamais à des formes artistiques plus élaborées (40% de la population en Fédération Wallonie-Bruxelles), que l’inverse. Avec le risque de carence en vitamines existentielles. A quand les ordonnances culturelles?

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