De la maison des morts, l’atroce beauté de la réclusion

Un opéra pour chanter l'actroce douleur de la réclusion. © H. SEGERS/LA MONNAIE

A La Monnaie, Krzysztof Warlikowski met en scène l’univers concentrationnaire de De la maison des morts, de Leos Janacek. Cinématographique et poignant.

Avec sa palette bizarre de percussions funestes (scie, enclume, hache, fouet, pioche, pelle et chaînes), avec sa rudesse, la dernière oeuvre de Janacek – que le compositeur morave laissera d’ailleurs inachevée, en 1928 -, compte parmi les opéras les plus poignants qui soient. Par son message profondément fraternel, qui veut croire qu’au fond des pires brutes brille toujours une étincelle humaine. Par sa forme, aussi, qui se contente de dépeindre la routine d’un bagne, à travers une mosaïque d’anecdotes et de récits de vie: inspiré des Souvenirs de la maison des morts, le roman semi-autobiographique de Dostoïevski (où l’écrivain russe relatait, en 1862, sa propre expérience de prisonnier politique dans un goulag sibérien), De la maison des morts n’a pas de fil conducteur. Pas de héros principal, non plus. Seulement des solistes masculins (18!) qui sortent çà et là de la masse chorale des détenus, pour dire, en des moments d’insaisissable beauté, l’atroce douleur de la réclusion.

Souffrir à perpétuité

Sans jamais réduire la musique dure, puissante et frénétique de Janacek à une « bande-son » (habilement déroulée par le chef allemand Michael Boder), cette juxtaposition quasi cinématographique d’histoires donne forcément la primauté à la scène. Après ses Médée, Macbeth, Lulu et Don Giovanni très applaudis, Krzysztof Warlikowski, leading light du théâtre européen, ne pouvait manquer d’empoigner cette pièce courte (une heure quarante, sans pause) pour dénoncer l’universalité de l’oppression pénitentiaire. Tout y est, des gros durs tatoués aux matons matraqueurs, des embrouilles aux solides passages à tabac, des frustrations sexuelles aux coups de couteaux perdus, des préaux où l’on déambule sans joie aux cellules glauques, que des télés saturent de clips, eux aussi tournant en boucle. Humiliation, violence, peur et solitude suintent de ces espaces clos, mais… un cran en dessous de la réalité. Warlikowski aurait été bien inspiré d’aller faire un petit tour à Saint-Gilles ou Forest: les mauvais garçons n’y sont pas tous des armoires à glace – les gardiens non plus, d’ailleurs. Et les vrais uniformes et draps de lits rapiécés, les chaises roulantes déglinguées, les murs salis d’excréments n’ont rien en commun avec ceux que présente le metteur en scène polonais, qui n’y va pourtant pas avec le dos de la cuillère. Manquent l’effroyable ennui, la crasse inouïe, les psychoses latentes et même la faim, et la désespérance, bien sûr, crève-coeurs quotidiens des quelque 10.000 prisonniers belges.

Soyons indulgent, cependant. Si les images vidéo insérées d’un Michel Foucault aux propos amphigouriques critiquant le système carcéral paraissent quelque peu datées, celles extraites du documentaire afro-américain Gangster Backstage (2013) touchent, elles, à l’authentique. Du jeune Noir enfermé derrière les barreaux pour un crime inconnu à qui l’on demande comment il imagine sa propre mort, il suffit de méditer la réponse glaçante ( » Terrifiante « ) pour aimer follement Janacek et louer encore, et encore, son infinie mansuétude.

De la maison des morts, de Leos Janacek: à La Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 17 novembre. www.lamonnaie.be.

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