Critiques scènes: Bêtes après tout

Juste encore assez de lumière pour les plantes d'intérieur, du collectif Rien de Spécial. © Olivier Donnet
Nicolas Naizy Journaliste

Friand d’écriture de plateau et d’humour absurde, le collectif Rien de spécial se demande dans Juste encore assez de lumière pour les plantes d’intérieur si l’humanité n’est pas de plus en plus bête. Une amorce de réflexion à approfondir par soi-même…

Ça commence par la fin. Une rencontre d’après-spectacle avec le collectif Rien de spécial est sur le point de débuter alors que le public vient à peine de s’installer dans la salle. Après nous avoir présenté les artistes, l’animateur lance le tour des questions… Et là, la circonspection ne fait que ménager la consternation des comédiens et comédiennes devant la qualité de l’échange en cours. On se prend au jeu, on sourit, on rit même à l’écoute des demandes incongrues (enregistrées) venues du public… On s’y croirait. On se prend à baisser les yeux de gêne suite aux questions ineptes et hors sujet des faux spectateurs intervenant dans ce faux débat. Tout comme on lève les yeux au ciel quand Baptiste s’écoute littéralement parler à force de formules ronflantes et déstabilisantes. Les spectateurs deviennent les complices d’une embardée hilarante.

En assistant à cette première partie du spectacle, on ne peut que se réjouir de retrouver l’humour décapant et absurde de la bande. Emmené par son trio -Hervé Piron, Marie Lecomte et Alice Hubball, rejoint ici par Baptiste Sornin en tant qu’oeil extérieur et interprète (l’animateur du débat, c’est lui entre autres rôles), Rien de spécial nous a habitués à ses expériences scéniques faites d’observation du quotidien et de sa distorsion par l’absurde (In Vitrine, Obsolète…). Juste encore assez de lumière pour les plantes d’intérieur entend nous « confronter à cette chose étrange et protéiforme qui, aujourd’hui, nous empêche de penser, de comprendre, d’apprendre, de ressentir en d’autres termes: la bêtise contemporaine« , annonce dans sa note d’intention Rien de Spécial. Devant le constat vieux d’un demi-siècle que le Q.I. de l’espèce humaine serait en train de dégringoler, Rien de spécial a voulu remonter à la source de cette désintégration des neurones.

Juste encore assez de lumière pour les plantes d'intérieur, du collectif Rien de Spécial.
Juste encore assez de lumière pour les plantes d’intérieur, du collectif Rien de Spécial.© Olivier Donnet

Et l’art, bordel?

Changement de décor: place à un diorama de musée des sciences naturelles. Dans un décor préhistorique de carton-pâte s’ébrouent, au rythme d’une narration en voix off, trois hominidés ayant annoncé l’émergence et la domination du futur Sapiens. Mais la représentation dérape et l’irruption d’un livreur Deliveroo dans cette reconstitution des premiers âges vient enrager les comédiens qui finiront par tomber les masques, dépités que de tels éléments extérieurs viennent littéralement bousiller leur relecture du fameux Sapiens, best-seller de l’historien star israélien Yuval Noah Harrari. Ce n’est là qu’une des inconvenues. « On essaie de faire de l’art là! Tu sais ce que c’est l’art?« , s’énervent-ils.

Ainsi notre espèce s’éteindrait d’elle-même, poussée dans le ravin par sa propre idiotie ? Comment d’hominidés vierges de connerie en sommes-nous arrivés à nos contemporains esclaves des applications sur smartphone? C’est bien là l’hypothèse de Rien de Spécial qui, pour son écriture de plateau, a réuni les indices de cette dégénérescence annoncée et suicidaire. Mais à trop digérer cette matière première, il risque de perdre son auditoire. « La manipulation de l’opinion publique par les algorithmes et les « fake news », la montée du communautarisme, de la haine de l’autre et le nationalisme, l’impossibilité que semble avoir l’homme d’arrêter son activité dévastatrice, menaçant ainsi les conditions de sa propre existence« , il faudra y réfléchir après la représentation. Un pari sur notre intelligence? Ces questions restent sous-entendues dans ce spectacle qui nous régale dans sa première partie mais s’essouffle par la suite. L’on déguste toutefois l’humour nonsense de l’ensemble relevant cette mise en abyme du théâtre, invitation à se raconter des histoires et à convoquer l’imaginaire, avec pour seul but le sursaut de l’humanité. L’art comme dernier espoir?

Juste encore assez de lumière pour les plantes d’intérieur, du collectif Rien de Spécial. Jusqu’au 5 février au Théâtre Varia. www.varia.be. Les 3 et 4 mars à la Virgule à Tourcoing.

Juste encore assez de lumière pour les plantes d'intérieur, du collectif Rien de Spécial.
Juste encore assez de lumière pour les plantes d’intérieur, du collectif Rien de Spécial.© Olivier Donnet

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