Critique théâtre: l’amour comme une religion
Partage de midi ou la définition des universels masculin et féminin selon Paul Claudel. Héloïse Jadoul signe une excellente mise en scène assumant le mysticisme amoureux de l’auteur.
Quand Paul Claudel (1868-1955) met le dernier point à Partage de Midi en 1905, il vient d’essuyer une douloureuse rupture amoureuse. Cette pièce s’en ressent, balayée par une schizophrénie constante, propre à son auteur, entre un brûlant appel du corps et l’aspiration à un amour divin. C’est le terreau de la mise en scène d’Héloïse Jadoul, comédienne régulière des créations de Martine Wijckaert à la Balsamine. Depuis longtemps, cette pièce la fascine et dit avoir préféré cette première version à la réécriture de 1948, expurgée des lignes de force promises ci-dessus.
Quel en est le cadre? Sur un paquebot naviguant vers la Chine, une femme, Ysé, embarquée avec son mari ingénieur De Ciz, dont elle n’a que faire des ambitions, retrouve à bord un ancien amant, l’impétueux Amalric, prototype de l’aventurier à qui rien ne résiste. Mais ses yeux et son coeur se tournent vers l’innocent Mesa, jeune agent des douanes,double de Claudel. Coincé par son éthique de l’amour, le jeune homme résiste aux avances de la dame, avant de lui succomber au final. Lui qui s’était extrait du monde des hommes, une femme l’y contraint d’y revenir.
Adam et Eve
Fin d’un premier acte de trois, et les deux autres, sur la terre ferme asiatique, de développer les tourments d’une relation à quatre tortueuse. Sur fond de révolte chinoise des Boxers (diplomate, Claudel vécut en Chine de 1895 à 1909), l’auteur de L’Échange articule ses propres combats intérieurs, les surélevant de questions diablement universelles, aussi vertigineuses que les définitions de l’homme et de la femme, les originels Adam et Eve.
Prenez Ysé, indépendante, indifférente aux projets de son mari, mais craintive dès qu’il désire s’aventurer dans la jungle, séductrice et éternelle amoureuse, son coeur balance, mais sa force demeure. La jeune Sarah Grin y déploie son talent avec une aisance remarquable dans la duplicité des émotions. Le trio masculin incarne trois archétypes: l’homme pragmatique et mari trompé (Alessandro De Pascale tout en désappointement devant les tergiversations d’Ysé), l’homme-animal qui ne redoute même pas la mort pourvu que les plaisirs le comblent jusqu’à ses dernières heures (un carnassier Émile Falk-Blin) et l’homme de coeur perdu entre son désir et sa foi (Adrien Desbons alternant la fièvre et la délicatesse).
En plus de s’appuyer sur un quatuor convaincant, Héloïse Jadoul s’avère une excellente faiseuse d’images, avec l’aide de son scénographe Bertrand Nodet dans cet espace brut du Théâtre de la Vie. D’une première partie où chaque personnage tente de rester dans son couloir dessiné par un vinyl aux reflets dorés, on passe dans une jungle de projecteurs avant une galerie des glaces renvoyant chaque personnage à ses propres interrogations. Le final christique et pictural, crucifixion incluse, assume la religiosité du texte (Adam et Eve ne sont pas loin).
Enfin, il y a cette langue de Claudel, poétique, tourmentée, et flamboyante quand elle est interprétée d’une si belle manière.
Partage de Midi, de Paul Claudel. Mise en scène: Héloïse Jadoul. Jusqu’au 13/04, au Théâtre de la Vie, Saint-Josse-ten-Noode. www.theatredelavie.be
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