Critique théâtre: Jeunes pousses sauvages
Quand un dîner d’anniversaire se fait banquet cannibale. On est sauvage comme on peut du Collectif Greta Koetz raconte le basculement dans une folie toute animale, la question de l’émancipation en filigrane.
« Je suis vraiment content que vous soyez tous là. » Selon les situations, cette phrase d’apparence anodine peut être le fait d’un sentimental sincère ou d’un faux-cul. En tout cas, dans On est sauvage comme on peut, ces quelques mots ont le don d’installer un malaise qui va se prolonger jusqu’à la fin du spectacle. Pourtant l’heure est à la fête, c’est l’anniversaire de Thomas (Thomas Dubot) et pour lui faire la surprise, sa compagne Léa (Léa Romagny, remarquée dans l’excellent J’abandonne une partie de moi que j’adapte de Justine Lequette) a invité un couple d’amis. Mais était-ce une bonne idée de convier Antoine (Antoine Cogniaux) qui aime à étaler son bonheur, son fringant voilier et son amour pour Belle du Seigneur devant Thomas en training de dépression?
Le mieux est peut-être de changer de conversation et de faire part de son enthousiasme pour le documentaire vu la veille sur les pingouins… « Les manchots! », ne cesse de reprendre Léa et cette obsession de la correction a le don d’énerver le jubilaire. Trop c’est trop, il annonce finalement qu’il va mourir et somme ses amis de dévorer sa dépouille. Voilà que le dîner d’anniversaire se transforme en un banquet cannibale. Et les personnages les plus éteints et leurs pulsions -sexuelles et animales- de se réveiller: Marie (Marie Bourin), la femme d’Antoine, sort tout à coup de son quasi effacement, et de nous expliquer la recette d’un gâteau amour bestial.
C’est de cette sauvagerie que nous parle le premier spectacle du jeune collectif Greta Koetz, celle que renferment les timides et les mal-dans-leur-peau, les dépressif et les effacés. Marie ne peut qu’acquiescer à la suffisance d’Antoine, Thomas n’en peut plus du controlfreakisme de Léa. « De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou », écrivait Michel Foucault. L’ensemble tient en effet ici d’une certaine idée de la folie qui n’est autre qu’une bête en sommeil. Son réveil est explosif. On est sauvage comme on peut ne manque pas de nous interpeller sur notre capacité à chavirer et à tout foutre en l’air, cocotte-minute qui ne demande pas mieux que d’être ouverte. Partant d’une situation banale, celle-ci devient totalement surréaliste et vorace, dans une deuxième partie qui ne manque pas de saignant, hormis quelques petits défauts de rythme. La comédie noire se fait film gore. Le tout mâtiné d’un humour bien senti, d’un sous-texte tendu, de personnages excellemment campés et la bonne idée d’intégrer à l’ensemble le « non-personnage » de Sami Dubot, musicien venant souligner au clavecin et à l’accordéon les moments forts. Carte de visite d’un groupe désireux de nous parler d’émancipation, la proposition nous rappelle une fois de plus que l’ESAC-Conservatoire de Liège, d’où est issue la distribution, est une excellente école d’acteurs. De belles promesses.
On est sauvage comme on peut, du collectif Greta Koetz. Le 21 février au Festival de Liège, les 24 et 25 février au Festival Jeunes Pousses de Mons Arts de la scène-MARS et en janvier/février 2020 au Théâtre National à Bruxelles.
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