Critique théâtre: Black, pur cauchemar

© Michiel Devijver
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Dans une jungle de cordes suspendues et sur la musique live de l’épatant batteur-guitariste Sam Gysel, Luk Perceval déterre les pires zones d’ombre de notre passé colonial. Créé au NTGent, Black est une claque nécessaire.

Les livres d’Histoire ont oublié William Henry Sheppard, né en 1865 en Virginie. Le metteur en scène Luk Perceval place le destin hors norme de cet Afro-Américain qui fut un des premiers missionnaires noirs envoyés en Afrique -et plus particulièrement au Congo- au centre de sa fresque Black, premier volet de sa nouvelle trilogie The Sorrows of Belgium (les deux autres continueront de décliner les couleurs du drapeau national).

Le titre n’est pas volé. Il renvoie à la fois à la peau de la moitié des comédiens (la parité est aussi atteinte entre hommes et femmes), aux tonalités du décor, mais surtout à la teinte du récit qui va être déroulé, un cauchemar, mais où à peu près rien n’a été rêvé, où tout est vrai. Une réalité historique envoyée en uppercut. Le parcours de Sheppard y est étoffé par des textes écrits par l’écrivain congolais Fiston Mwanza Mujila, par les acteurs (Nganji Mutiri, Aminata Demba), mais aussi nourri par des extraits de Joseph Conrad, William Shakespeare, Aimé Césaire, Kate Tempest ou encore Gil Scott-Heron.

En deux heures, du blues You Gotta Move chanté par Andie Dushime (quelle voix! quelle présence!) et repris en choeur jusqu’aux déclarations finales (« On ne peut pas changer l’Histoire, mais on peut choisir comment on la raconte« ), l’horreur défile. L’horreur qui fera dire à Sheppard dans ses prêches, une fois de retour aux States: « Comment pouvons-nous vraiment croire au Tout-Puissant? Comment pouvons-nous Lui faire face dans nos prières en sachant ce qui s’est passé en Son nom? »

Cette traversée de l’enfer s’avère longue, mais plusieurs scènes de Black resteront gravées dans la mémoire. Peter Seynaeve (le metteur en scène des enfants de Five Easy Pieces), dans la peau du missionnaire Samuel Lapsley, compagnon de route de Sheppard, traçant dans le vide les contours d’une église, d’une école et d’un champ de patates tout en faisant répéter à ses deux élèves leurs dénominations avec un accent à couper au couteau. Les huit acteurs attendant, serrés sur une table de billard, que s’arrête la pluie tropicale. La description, tirée des écrits de Sheppard, des massacres commis par les Zappo Zap, ethnie du Kasaï alliée des autorités belges, pratiquant la traite des esclaves et le cannibalisme. La rage misanthrope d’un vieux missionnaire britannique. Le dialogue entre soeur Adonia et une jeune fille abusée par les bons pères blancs.

Brutal, imparable, indispensable.

Black: le 9 mai au KVS à Bruxelles (en anglais, néerlandais et français, surtitré en français), www.kvs.be

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