Critique scènes: variations et fugues

Peggy Pickit voit la face de Dieu © Debby Termonia
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Un quatuor d’acteurs épatants dirigés par Isabelle Gyselinx interprète l’exigeante partition théâtrale composée par Roland Schimmelpfennig. Quand Peggy Pickit voit la face de Dieu, le vernis des convenances se fissure de toutes parts.

Deux couples d’anciens étudiants en médecine. Ils se retrouvent après six années. Les uns sont restés au pays, ont déroulé le train-train de la vie d’adultes, maison cossue avec garage, enfant bien élevé. Les autres sont partis, pour aider là-bas, en Afrique. Mais ils sont revenus -précipitamment- et aujourd’hui, tous les quatre fêtent leurs retrouvailles, au champagne. Et alors que les cadavres de bouteilles s’accumulent un peu partout dans le salon, la soirée dérape complètement…

Dans ce Peggy Pickit voit la face de Dieu savamment orchestré (cette patiente distillation de l’information…), l’auteur allemand Roland Schimmelpfennig, dramaturge à la Schaubühne de Berlin, auteur notamment de Push Up et Une nuit arabe, généralise l’usage de l’aparté adressé au public pour que l’on entende bien haut ce que chacun pense tout bas, décortiquant crûment les jalousies, frustrations, rancoeurs et autres plaies mal cicatrisées qui bouillonnent en sous-texte. Résultat : un humour féroce, totalement débridé, jaillissant du contraste entre le dit et le non-dit. À cela, Schimmelpfennig ajoute une couche de complexité en jouant avec le déroulement du temps, nourrissant sans cesse le dialogue de retours en arrière et d’anticipations. Pour former autant de boucles où s’incrustent de discrètes variations, comme dans une partition de Bach.

Dirigés par Isabelle Gyselinx dans un décor réaliste douillet, Valérie Bauchau, Véronique Dumont, Thierry Hellin et François Sikivie se glissent avec folie et grâce dans cette redoutable mécanique où les cultures, métaphorisées par des poupées, s’entrechoquent, où les bonnes intentions se décomposent et où même les Beach Boys ne peuvent sauver l’affaire. Exigeant, mais délicieux.

Peggy Pickit voit la face de Dieu: jusqu’au 26 février au Théâtre de Poche, Bruxelles, www.poche.be

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