Critique scènes: Perdus dans la jungle
La compagnie colombienne Mapa Teatro part à la recherche d’une société s’étant volontairement confinée dans la jungle amazonienne. Étrange et mystique, La lune est en Amazonie nous fascine par les symboles que le spectacle transporte mais sa narration nous perd en chemin.
Laboratoire transdisciplinaire basé à Bogota, le Mapa Teatro présentait dernièrement au festival transfrontalier Next et au Festival d’Automne de Paris sa création La lune est en Amazonie, visible au Théâtre National en cette fin de semaine. Un spectacle né du confinement que la Colombie a également éprouvé comme quasiment le reste de la planète.
Le point de départ, le collectif l’a trouvé dans un journal, un article racontant la découverte d’un peuple amazonien ayant fait le choix de s’isoler du reste du monde. Cette interdiction stricte et volontaire d’entrer en contact avec l’extérieur ne pouvait que renvoyer aux stratégies mises en place par les gouvernants du monde pour contrer l’épidémie de coronavirus. Pour l’histoire, l’existence de ce peuple a été mise au jour par des chercheurs d’or en 1969, au même moment où un représentant de l’espèce humaine posait un premier pied sur la Lune. Et le Mapa Teatro de trouver en ces deux événements une épiphanie commune tout en soulignant l’ironie du contexte planétaire de 2020 dans lequel le collectif se trouvait.
Comme l’ont rappelé dans leurs interviews les têtes pensantes du spectacle, Heidi et Rolf Abderhalden, il faut voir dans cet acte d’isolement de ce peuple, un geste de révolte et rébellion envers l’exploitation sans cesse grandissante par les hommes et les industries sur ce trésor naturel et irremplaçable qu’est l’Amazonie: « 65,8% de la plus grande forêt tropicale du monde est soumise à un type d’activité d’origine humaine: construction de routes, extraction de pétrole, mines légales ou illégales, projets hydro-électriques, activité agricole, exploitation du bois et plantations illicites« , rappellent-ils tout en précisant qu’à travers l’histoire de ce peuple, ils avaient peut-être trouvé le moyen de saisir la réalité de la forêt amazonienne, sa profondeur physique et métaphysique.
Une évocation symboliste
S’ils veulent témoigner de cette réalité, la voie stylistique choisie par les Sud-Américains n’est cependant pas celle du théâtre documentaire tel qu’il fleurit sur nos scènes. Non! Le Mapa Teatro préfère le terme d’ethno-fiction pour se préserver de tout regard anthropologique scientifiquement construit. Place au rêve plutôt.
Après avoir planté le décor et le contexte de leur démarche, les cinq interprètes vont brasser dans une série de tableaux imagerie et symboles. Jouant sur la transparence de projections sur un grand écran pivotant -tantôt filtre posé sur l’objectif du spectateur tantôt frontière entre la jungle et le reste du monde-, la compagnie part sur les traces de ce peuple sans jamais l’atteindre. Sous l’épaisse canopée, la réalité nous échappe, comme si nous étions rattrapés par une fièvre tropicale génératrice d’hallucinations. Ici les arbres marchent à l’instar de ces palmiers aux racines nues (Socratea exorrhiza) qui littéralement se déplacent au gré des sources lumineuses. Rode tout au long de ce spectacle la figure du jaguar, félin quasi divin que les chamanes invoquent et chargent de bienfaits ou de malheurs…
Dans La lune est en Amazonie, le public tentera de se frayer un chemin, car si l’on accepte la position poétique revendiquée, la perte de repères guette à chaque instant. On l’avoue, on a perdu la boussole de ce spectacle aux multiples entrées, aux pointes d’humour, aux couleurs. Avis aux explorateurs: le Mapa Teatro nous offre là un voyage curieux et confus -sous influence dirait-on- qui aurait certainement mérité un roadbook un peu plus précis pour entraîner dans l’exploration les esprits trop cartésiens.
La lune est en Amazonie, du Mapa Teatro. Du 2 au 4 décembre au Théâtre National à Bruxelles. www.theatrenational.be
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