Critique scènes: Parents en manque de réponses
Alors que les procès des attentats de Paris et de Bruxelles ont débuté ou approchent, Mon fils, ce démon traduit l’impuissance d’un père et d’une mère face à l’acte inexpliqué de leur enfant.
Réunis dans une salle d’attente -d’un lieu indéterminé-, un homme et une femme marquent leur impatience en silence. Quand les premières phrases jaillissent, c’est un dialogue tendu qui semble reprendre là où il avait été interrompu des années auparavant. Derrière l’agacement lié à l’attente et la froideur de l’échange se révèle une douleur commune: l’attentat-suicide commis par leur fils. Leur reprise de contact autour de ce drame partagé va se traduire par un déluge de questions. Car qu’est-ce qui pousse un jeune homme à enlever la vie tout en mettant fin à la sienne?
Au fil de leurs monologues croisés et dans leurs plus rares échanges, Seloua et Saïd vont retracer leur histoire et celle de leur enfant, né alors qu’ils étaient tous les deux études au Maroc, emplis d’amour et ivres de jeunesse. Lui a poursuivi ses études de mathématiques, jusqu’à décrocher un poste de recherche et d’enseignant à Bruxelles. Ayant interrompu ses études pendant sa grossesse, elle, engagée dans la cause des femmes marocaines, s’installe à Casablanca et élève le petit garçon. La relation du couple mère-fils avec le père se distend, malgré les vacances passées en Belgique, avant une reprise de contact à la sortie de l’adolescence, le garçon rejoignant son père en Europe pour entamer des études de philosophie.
Ils n’ont donc rien vu venir. Le couple formé par Ben Hamidou -au personnage porté par la volonté de comprendre- et Sibel Dincer -mère asséchée par la perte de son enfant- semble, au fil du spectacle écrit et mis en scène par Jamal Youssfi, vouloir retisser la toile de la transmission. Ont-ils assez partagé avec leur fils leur parcours de jeunes parents progressistes? Quelle fut la place de la religion dans la famille? Pour Seloua, faut-il qu’une mère subisse la double peine de perdre son fils tout en ayant conscience qu’il a ôté la vie à d’autres hommes et femmes? Est-elle condamnée à supporter la douleur des proches des victimes? Et Saïd, aurait-il pu entrevoir les plans de son fiston dans les discussions animées mais cordiales qu’ils entretenaient sur le devenir du monde? Doit-il lui-même questionner l’homme qu’il est devenu?
Poursuivant la veine sociétale de sa compagnie des Nouveaux Disparus, Jamal Youssfi n’entend pas documenter de manière réaliste les attentats de Bruxelles auxquels il fait explicitement référence. Le profil de ses personnages s’en écarte et le propos ne s’éloigne pas de leurs questionnements et de leur impuissance. Par une mise en scène sobre, entrecoupée des chants a capella de Sabrine El Koulali, Mon fils, ce démon nous rappelle l’évanouissement des certitudes et retranscrit l’enfer de devoir avancer dans le brouillard. L’incompréhension reste ici centrale mais, comme nous le rappelle le final du spectacle, ne rime pas pour autant avec renoncement et résignation.
Mon fils, ce démon, écrit et mis en scène par Jamal Youssfi. Jusqu’au 18 septembre à l’Espace Magh à Bruxelles. www.espacemagh.be
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