Critique scènes: la belle vie
En nous racontant ses crises -professionnelle et intime-, Jean-Luc Piraux interroge la vie dans Rage dedans tout en se mêlant de la nôtre. Heureusement, ce clown du quotidien le fait avec humour, tendresse et poésie.
Être artiste, la belle vie! Les épuisés du 9-17h quotidien, bloqués dans les embouteillages ou dans une réunion interminable, le pensent parfois. Pourtant la création artistique est loin de ressembler à la caricature de dilettante que l’on peut s’en faire. Jean-Luc Piraux l’a expérimenté avec douleur. En 2018, à quelques jours de la première de son nouveau spectacle, il craque. Surmenage, angoisse de la première… il doit renoncer aux représentations pour prendre soin de lui.
Rage dedans prend alors un tout autre tournant, celui de cette panne soudaine dans le déroulé d’une vie et de son redémarrage. Dans ce seul en scène où il ne cesse de s’ouvrir à nous, le comédien nous explique sans fard le diagnostic de son burn-out, terme à la mode s’il en est, dissimulant derrière son anglicisme brûlant un brouillard de raisons. Elles sont ici autant professionnelles qu’intimes, Piraux décortiquant sous nos yeux une vie de couple ayant peut-être cédé à la routine (sous les yeux complices de son épouse, toujours présente dans la salle). Mais son séjour en institution psychiatrique lui révélera d’autres détresses, celles des autres patients souvent bien plus atteints que lui. Avec une constante toutefois: une inaltérable recherche d’amour et d’affection, le point de départ d’une profonde réflexion sur notre nature humaine.
Thérapie par le rire
À pieds joints, ce grand clown saute dans le gouffre de nos existences, nous renvoyant ses questionnements en pleine face. L’amour dure-t-il? Comment se confronte-t-il à la charge des années? En quoi satisfait-il nos vies? Le comédien, fin observateur de ses semblables, aime prendre des risques et jauger son public. Il nous interpelle directement, nous prend à partie en gravissant le gradin et dissèque nos gentils travers. À nous spectateurs de saisir la balle au bond avec le répondant qu’il se doit. Les moyens sont simples (une chaise bancale -running gag-, une table, une bouteille d’eau), mais la sincérité est totale. On n’en est guère étonné. Il nous avait déjà fait le coup, ce gentil gredin, en nous partageant son angoisse de la mort dans Six pieds sur terre et des conséquences du décalage dans nos vies avec En toute inquiétude.
On rit souvent, même beaucoup devant le malheur des autres mais aussi devant cette increvable volonté de rebondir. À l’instar des spectacles précités, la force de Rage dedans réside tant dans son humour que dans la poésie. Elle nous saisit par surprise. Ainsi, Jean-Luc Piraux nous apprend à dompter nos vies, comme cette Rossinante imaginaire, monture modeste de Don Quichotte, qu’il apprivoise dans des apartés hors du temps et de l’espace. Aussi concret soit son propos, ce mélancolique à la répartie drôlissime a le chic pour trouver dans l’énergie du plateau cette sève onirique, presque un regard d’enfant, sur les nuages de la vie. Qu’on ne soit pas effrayé par leur pluie, à ses côtés le soleil reparaît toujours.
Rage dedans, de et avec Jean-Luc Piraux. Jusqu’au 25/10 au Théâtre Blocry à Louvain-la-Neuve (www.atjv.be), du 5 au 18/12 au Théâtre de Namur (www.theatredenamur.be).
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