Critique scènes: Fabrice Murgia retient la nuit

Fabrice Murgia. © Kurt Van der Elst
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Avant Avignon, La Dernière Nuit du monde, la nouvelle création de Fabrice Murgia, est présentée à Mons. On a vu en répétition ce conte d’anticipation qui pousse à l’extrême la soif humaine de tout dominer.

Avec le feu, avec les armes, avec l’agriculture et tout ce qui a suivi, l’espèce humaine est parvenue à maîtriser son environnement, à le plier à ses propres règles. Mais, au XXIe siècle, il reste un élément irréductible: la succession du jour et de la nuit, et le cortège de craintes immémoriales qui accompagnent l’obscurité de celle-ci. Dans La Dernière Nuit du monde (vu en répétition au National), l’écrivain français Laurent Gaudé imagine un futur proche où l’humanité est sur le point de surmonter cet ultime obstacle à sa totale liberté d’action, grâce à une pilule qui permet de « passer la nuit » en seulement 45 minutes, et à tout moment du jour.

Sa pièce, publiée chez Actes Sud, est dédiée à Fabrice Murgia. On avait fini par l’oublier à force de parler de lui en tant que directeur du Théâtre National, auteur et metteur en scène, mais l’aîné des frères Murgia est aussi un sacré bon acteur. Et c’est lui qui porte, tantôt doux, tantôt tempétueux, enfermé dans ses frontières lumineuses et sur une surface réfléchissante, ce « monologue peuplé » (selon le sous-titre de Gaudé), en dialoguant avec des personnages qui apparaissent à l’écran, et avec Nancy Nkusi (elle aussi impeccable), présente en chair et en os mais prisonnière comme lui de son cadre de jeu.

Car elle et lui, Gabor et Lou, se sont perdus lors de cette dernière nuit et leurs discussions -médiées par la caméra- sont des flash-back du monde d’avant. L’histoire intime, celle d’un couple heureux, se mêle donc à la grande, celle d’un futur imaginaire mais pas tout à fait irréaliste puisqu’y sont seulement exacerbées certaines logiques -capitalistes: en dormant moins, on peut travailler plus, jusqu’à avoir les yeux qui saignent.

Dystopie, histoire d’amour mais aussi thriller incluant des images tournées parmi les Samis, ce peuple « premier » du nord de la Scandinavie, cette Dernière Nuit du monde démarre fort, tourne quelque peu en rond dans son intrigue (un défaut qui devrait être corrigé puisque depuis lors le spectacle a été resserré),, avant de finir dans l’apaisement. On en sort rassuré -dans la vraie vie, on n’en est pas encore arrivé là- mais avec la certitude qu’il est temps d’agir pour ne pas foncer dans le mur.

La Dernière Nuit du monde: les 1er et 2 juillet au Théâtre Le Manège à Mons, du 7 au 13 juillet au Festival d’Avignon, les 31 août et 1er septembre au Théâtre de Liège, du 14 au 18 septembre au Théâtre National à Bruxelles, du 6 au 8 octobre à l’Ancre à Charleroi, les 12 et 13 octobre à la Toneelhuis à Anvers.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content