Critique scènes: Échec au roi
Oleanna de David Mamet bouscule les rapports de pouvoir et de domination. Toute d’ambiguïté, la pièce évite que le dialogue (de sourds souvent) ne sombre dans le manichéisme.
Entre un professeur et ses étudiants peut se jouer une relation de fascination. D’un côté, il y a le détenteur d’un savoir, de l’autre, des demandeurs d’apprentissage. Une forme de relation de pouvoir que met au jour Oleanna, la pièce de l’Américain David Mamet (Race, Glengarry), connu pour sa plume perçant à vif les rapports de domination et de soumission qui traversent la société.
Carol, étudiante inquiète, vient demander à John, son prof de sciences de l’éducation, quelques explications sur son examen qu’elle pense avoir raté. Lui est pressé -il doit aller signer le compromis de vente d’une maison que sa prochaine titularisation lui permet d’acquérir-, elle en attente de réponses. Et dans le gouffre des questions de Carol, John saute à pieds joints, délaissant son portable qui ne cesse de sonner. De leur face-à-face ayant le gradin d’un amphithéâtre pour décor, émerge la lente déconstruction d’un rapport de forces. En enseignant critique et un peu provocateur, John conçoit l’enseignement universitaire tel qu’il est pensé par les institutions comme une entrave à notre liberté individuelle, au choix de notre propre émancipation. Une conception que ne peut entendre Carol qui comme nombre de ses congénères s’est littéralement battue pour mériter une place dans cet auditoire. Elle ne comprend pas, elle le répète. Il tente de la rassurer, s’approche d’elle et lui propose des cours particuliers. Et là tout bascule. Au deuxième acte, Carol accuse John de harcèlement auprès des autorités académiques, une charge qui vient gravement compromettre les ambitions du professeur. Au tour de ce dernier à ne pas comprendre ce qui lui arrive, pris à son propre jeu d’apparente subversion.
Une mécanique subtile
Le dramaturge chicagoan construit sa pièce sur le modèle d’une horlogerie aux engrenages pervers. Le renversement de la domination vient ici pleinement questionner le modèle patriarcal, incarné ici dans l’homme blanc de 40 ans, confiant en lui et en ses certitudes -même si celles-ci viennent bousculer l’ordre établi. Une pièce dans l’air du temps (de 1994 déjà !). Mis en scène par Fabrice Gardin, David Leclercq et Juliette Manneback se voient prendre au piège de leurs contradictions. Interrompant constamment les phrases de l’autre, ils n’arrivent à se départir d’un dialogue de sourd qui met en évidence les différences culturelles, sociales et économiques qui séparent leurs personnages: homme-femme, prof-étudiante, installé-cherche sa place, milieu aisé-moins privilégié. Elle ne peut accepter qu’il traite ses étudiants avec arrogance, il pense qu’elle surinterprète. Et le roi de tomber de son trône. S’il manque dans la mise en scène trop sobre ce petit plus capable de mettre en perspective la démonstration, le duo fait pleinement confiance à la dextérité de Mamet à jouer avec les préjugés, à révéler les inégalités qu’on ne soupçonne pas. À raison.
Oleanna, mise en scène de Fabrice Gardin. Jusqu’au 14 novembre au Théâtre des Galeries. www.trg.be
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