[Critique scènes] Baudelaire, ce rocker qui ne s’aimait pas
En posant Charles Baudelaire au comptoir d’un bar de fin de soirée, Benoît Verhaert nous révèle un spleen rock’n’roll du géant de la poésie, musique et voix à l’appui.
Benoît Verhaert aime les dandys désabusés. Le comédien s’est aussi fait une spécialité pour raviver les classiques. On se souvient de ses adaptations de Camus pour la scène (La Chute et L’Étranger). Dans Les Carnets de sous-sol, c’est Dostoïevski en misanthrope retranché dans sa cave qu’il incarnait. Il s’attaque cette fois au géant Charles Baudelaire (1821-1867).
Ici, c’est encore le visage d’un homme qui questionne l’humanité, y compris la sienne, sur ce qu’elle a de plus ténébreux. Par une habile composition d’extraits de l’oeuvre du poète tourmenté, il nous interpelle depuis le micro et le comptoir aménagé sur cette petite scène du Boson, petit théâtre ixellois qui accentue son ambiance intime pour l’occasion -conditions Covid obligent, maximum une vingtaine de spectateurs assis par bulles à des tables, tel un cabaret clandestin en sous-sol.
« Tu le connais par coeur, ce monstre sanguinaire / Mon très cher spectateur, mon semblable, mon frère! » Le ton est donné dès ces premiers vers extraits des Fleurs du mal. Dans ce voyage enfumé au coeur des stances de Baudelaire, il hait les hommes et leur médiocrité, s’évade dans Les Paradis artificiels, étalant son fameux spleen. Verhaert revient même sur ce Pauvre Belgique, pamphlet inachevé dans lequel « Charly » concentrait tout son mépris pour sa terre d’exil volontaire -il fuyait ses créanciers parisiens. « Il n’y a pas de peuple plus fait pour la conformité que le peuple belge. Il n’y a que deux partis en Belgique, les catholiques et les ivrognes. » Bruxelles le lui rendra bien, refusant de l’éditer, au contraire de Victor Hugo quelques années plus tôt.
Bourreau de lui-même
Vouant l’humain à ses travers, ce Baudelaire se fait renvoyer la balle. Car il n’est pas seul sur scène, le misanthrope. Des consciences musicales, voix intérieures incarnées par le guitariste Gilles Masson et la chanteuse Delphine Gardin, prennent un malin plaisir à lui tendre un miroir. Y transparaît le reflet d’un homme en décalage qui en rhabillant ses semblables de somptueuses guenilles se flagelle lui-même: « Je suis la plaie et le couteau! Et la victime et le bourreau!« , conclusion en crescendo d’une existence en decrescendo.
« Anywhere out of this world« , répéteront-ils en choeur en fin d’un spectacle généreux -cheesy parfois- qui nous aura happés, le temps d’une heure, hors d’un monde si angoissant à travers une oeuvre caustique mais lucide. Une célébration rock, à coup de riffs, des mots d’un poète en accord avec notre contemporanéité. « Semblable au prince des nuées qui hante la tempête et se rit de l’archer / exilé sur le sol au milieu des huées / ses ailes de géant l’empêchent de marcher« . Volons alors avec lui!
L’Héautontimorouménos, de Benoît Verhaert d’après Charles Baudelaire. Jusqu’au 24 octobre au Boson, à Ixelles. www.leboson.be
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