Critique scène: témoignage sorti des cendres

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Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Présenté prochainement au festival gratuit Les unes fois d’un soir à Huy, Ashes to Ashes déterre la voix d’un témoin de premier plan de l’horreur d’Auschwitz. En utilisant la glaise pour raconter l’irracontable.

En 1987, Agnès Limbos évoquait les camps de concentration en manipulant des légumes en conserve dans Petit Pois, un spectacle qui aura marqué bien des moutards. Une trentaine d’années plus tard, l’impératrice belge du théâtre d’objet revient à la Shoah en accompagnant Simon Wauters dans la gestation d’Ashes to Ashes, basé sur le témoignage d’un prisonnier d’Auschwitz-Birkenau.

Son nom est projeté sur la table qui occupe le centre de la scène: Zalmen Gradowski, dont on verra aussi le visage, accompagné de celui de sa femme, dans un double portrait photographique, est un Juif polonais né en 1910, déporté à 31 ans. Il est enrôlé au Sonderkommando du crématoire III, un de ces groupes chargés d’évacuer les cadavres des camions et des chambres à gaz, de les enterrer dans des fosses communes ou de les faire brûler dans les fours, réalité sordide que le film Le Fils de Saul de Laszlo Nemes a contribué récemment à faire connaître plus largement.

Zalmen Gradowski a couché sur papier la vie à Auschwitz et a scellé ses manuscrits dans une gourde qu’il a ensuite enterrée sous la cendre et qui a été découverte le 5 mars 1945. « Personne ne pourra croire… Tout ce qui est écrit ici, je l’ai vécu moi-même, en personne, au cours de mes seize mois de travail spécial, et toute ma détresse accumulée, la douleur dont je suis pétri, mes atroces souffrances, je n’ai pu leur donner d’autre expression, malheureusement, que par la seule écriture« , peut-on y lire.

Cendre et terre

Dans la partie initiale de Ashes to Ashes, Simon Wauters rejoue la découverte du manuscrit. Il y aura ensuite deux espaces: la table centrale, lieu de l’incarnation du témoignage, et un pupitre sur le côté, paré des trois singes de la sagesse, d’où seront donnés certains commentaires et éclaircissements. Et c’est d’un énorme tas de terre glaise que surgira le récit. Simon Wauters en tire des fragments qu’il façonne du bout des doigts en minuscules personnages sommairement ébauchés. D’autres sortiront plus tard de ses poings serrés. Il sectionne la masse à l’aide d’une corde pour figurer les blocs du camp (qui pouvaient contenir chacun 600 personnes), qu’il transperce de piques et oint de cendre pour y dessiner quelques prisonniers, retraçant un épisode de séparation entre ceux qui doivent être éliminés et ceux qui continueront à mener cette « vie morte » dans cet enfer. La magie de la manipulation fonctionne à merveille, mais se voit un peu écrasée par la musique, que la présence sur scène de la régie son de Gil Mortio rend accaparante.

En donnant vie à ce témoignage précieux, Simon Wauters -qui précise en introduction « s’appeler Simon mais ne pas être juif« – non seulement ranime une douloureuse tranche d’Histoire à ne jamais oublier mais interroge aussi les ressorts qui empêchent la révolte, les mécanismes qui brident ce « désir de lutte qui couve au fond de tous les coeurs« . Pourquoi, hier comme aujourd’hui, accepter l’inacceptable? Zalmen Gradowski sera tué le 7 octobre 1944, au cours d’un soulèvement des Sonderkommandos dont il était l’un des initiateurs.

Ashes to Ashes: le 28 septembre à Huy dans le cadre du festival Les unes fois d’un soir, www.1x1soir.be

Gratuit et poil à gratter

Boucherie Bacul
Boucherie Bacul© DR

Le festival hutois Les unes fois d’un soir, qui met un point d’honneur à maintenir sa gratuité, a aussi la particularité de cultiver la folie douce et le côté poil à gratter des arts de la rue. À côté de Ashes to Ashes, la programmation de ce 28 septembre convie notamment des bouchers spécialistes de la mise en bocaux de peluches abandonnées (Pikz Palace), le performeur camerounais Snake donnant à voir avec son propre corps le parcours des migrants, les abris post-effondrement de Maison Renard, des conductrices déclarant leur amour à Booba (Cie Canicule) ou encore le duo acrobatique israélien Amir et Emda où -tout un symbole- c’est la femme qui porte. Tous dans la rue!

www.1x1soir.be

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