Critique

[Critique ciné] Vita Brevis, éternel éphémère

Vita Brevis, de Thierry Knauff © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

DOCUMENTAIRE POÉTIQUE | Le nouveau poème cinématographique de Thierry Knauff est une expérience sensuelle, organique, mémorable.

Ils sont apparus au Carbonifère, il y a environ 300 millions d’années. Ce qui en fait les insectes ailés les plus anciens encore présents de nos jours. Pourtant, une fois quitté l’état de larve, ils ne vivent que très brièvement, juste le temps de se reproduire avant de mourir quelques heures plus tard… L’éphémère, « Palingenia Laugicauda »pour la science, est la star du nouveau film de Thierry Knauff. Assurément l’un des cinéastes belges les plus talentueux et les plus originaux, le natif de Kinshasa, aujourd’hui établi dans le Hainaut, signe avec Vita Brevis une merveille de fusion entre documentaire animalier et poésie pure. Le réalisateur de Baka (sur un peuple pygmée et ses chants polyphoniques), d’Anton Webern (sur le grand compositeur autrichien) et de Wild Blue (évocation de l’état du monde, entre violence barbare et salvatrice beauté) saisit sur le vif des images inédites, puis les travaille en artiste inspiré, pour un résultat phénoménal, aussi clairement personnel que largement ouvert au spectateur curieux. Depuis le saisissant Seuls de 1989, coréalisé avec Olivier Smolders et filmant des enfants autistes institutionnalisés, Knauff fait rimer capture du réel et création cinématographique, avec en prime une musicalité qui marque à nouveau et de subtile façon son nouvel opus.

En noir et blanc sublime

C’est en Voïvodine, au pied des Carpates, que le cinéaste et sa (très) petite équipe sont partis chercher l’éphémère. La rivière Tisza est connue pour en abriter. Tournant sur support digital, Knauff a réussi l’exploit de saisir au vol l’extraordinaire et frénétique ballet de reproduction des insectes, la métamorphose qui la précède et l’agonie qui la suit. Nous ressentons de manière inouïe les efforts des paléoptères pour sortir de l’enveloppe inerte qui retient leur envol. Et plus douloureusement encore leur épuisement d’après copulation, quand revenus fourbus sur la surface de l’eau qui les a vus naître, ils consument leurs dernières forces avant de se figer définitivement. L’art qui nous captive ici est sensuel en diable. Il fait vivre les choses avec une intensité proprement organique. Et se déploie, pas seulement devant nous mais aussi en nous, une poétique de la nature au noir et blanc sublime, à la bande sonore incroyablement riche (plusieurs centaines de pistes sonores séparées!). De quoi plonger dans une expérience audiovisuelle inoubliable. Avant -ce n’est pas interdit- de chercher dans la compagnie des éphémères quelque élément d’une métaphore interrogeant notre rapport au monde, à l’existence.

Il était indispensable de montrer sur grand écran cette oeuvre à la stupéfiante beauté! Vu la courte durée (40 minutes) de son film, Thierry Knauff a eu la bonne idée de le sortir avec le remarquable Dimanche d’Edmond Bernard, un court métrage documentaire de 1963 réalisé par un cinéaste dont il fut l’intime, et qui révèle des affinités… musicales avec Vita Brevis.

DE THIERRY KNAUFF. 40 MINUTES. SORTIE: 08/06.

AVANT-PREMIÈRE LUNDI 6 JUIN À 19H30 À FLAGEY, EN PRÉSENCE DE THIERRY KNAUFF. SORTIE À FLAGEY LE MERCREDI 8 JUIN, PUIS À LIÈGE (CHURCHILL), NAMUR (CAMEO), MONS (PLAZA ART), ANVERS, COURTRAI, TURNHOUT, GAND ET LOUVAIN.

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