Critique

Critique ciné: Ugly, à des années-lumière de Bollywood

Ugly - Ronit Roy (Shoumik Bose) © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

POLAR | Un thriller intense, déjanté, dangereux et stylé, par le chef de file de la nouvelle vague indienne.

Gangs of Wasseypur nous avait plongé au coeur d’un conflit brutal, opposant deux clans d’un quartier musulman de Dhanbad, le « pays noir » indien avec ses mines de charbon s’étendant sans fin. Sans fin comme la vendetta toujours renouvelée des familles mafieuses rivales, narrée en images saisissantes, violentes, par un jeune cinéaste ambitieux. Anurag Kashyap (lire son interview dans le Focus du 30 mai) aime le film de genre, et Ugly le confirme, qui s’impose en sombre joyau du polar « noir » extrême. Révélée comme Gangs à la Quinzaine du festival de Cannes, cette oeuvre déjantée, fulgurante, débarque aujourd’hui sur nos écrans pour y déployer ses charmes profondément vénéneux. Tout commence avec la disparition d’une fillette, enfant de parents divorcés qui vit avec sa mère et son beau-père, membre de la police de Mumbaï (Bombay). L’enquête sur ce qui fait fort penser à un kidnapping réservera bien des surprises. Elle révélera des errances, et l’atmosphère de corruption régnant sur la ville. Tout en dévoilant aussi la face cachée d’une société très particulière…

Loin de Bollywood

Dans la meilleure tradition du film noir, celle établie par le cinéma made in USA des années 40 et 50, Ugly assure la tension, le suspense, et une plongée dans le réel où les masques tombent, où les frontières entre le bien et le mal tendent à se brouiller. A des années-lumière de Bollywood, de ses stars et de ses strass, Anurag Kashyap nous entraîne dans une éprouvante descente aux enfers urbains. Eprouvante dès l’entame, avec une scène révoltante où des policiers tatillons retardent par bêtise ou méchanceté le début des recherches. Mais aussi étonnante par ses audacieuses ruptures de ton, un humour désespéré s’introduisant parfois, quand ce n’est pas une bizarrerie confinant au grotesque. Déjanté, Ugly l’est organiquement, par-delà tout aspect ludique. Il pourra sembler un peu confus, aussi, à l’image des rues de Mumbaï et de ses bâtiments hirsutes. Abracadabrant, comme l’humanité qu’il expose. Mais avec au coeur du récit une jeune vie qu’on désespère de retrouver intacte. La beauté s’efface dans un creuset de malaise dont émerge un angoissant constat. Elle resurgit pourtant, au détour d’une image imprévisible, voire carrément insensée. Kashyap ne signe pas un film parfait. Il offre une expérience radicale que goûterait sans doute ce maître en étrangeté féroce qu’est Gaspar Noé. On en revient, certes. Mais marqué.

  • D’Anurag Kashyap. Avec Ronit Roy, Tejaswini Kolhapure, Rahul Bhat. 2h06. Sortie: 04/06.

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