Critique

[Critique ciné] El Reino: Les politiques sont-ils tous pourris?

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Triomphateur des derniers Goyas, El Reino trouve dans l’actualité politique espagnole matière à un thriller endiablé à la tension paroxystique.

La Isla Mínima d’Alberto Rodríguez et La Colère d’un homme patient de Raúl Arévalo l’ont prouvé à grande échelle: ces dernières années, le polar ibérique affiche une belle vitalité, prenant soin d’assortir ses ressorts de genre de considérations sociales et politiques. D’autres exemples moins connus abondent: Toro du Catalan Kike Maíllo, Insiders du Basque Daniel Calparsoro… Cinéaste madrilène, Rodrigo Sorogoyen n’en est lui-même pas à son coup d’essai: son déjà surchauffé Que Dieu nous pardonne, sorti en Belgique à l’automne 2017, questionnait la crise de la masculinité sur fond de traque au tueur en série.

Sans jamais la citer, El Reino ( Le Royaume) s’inspire aujourd’hui ouvertement de l’affaire Gürtel. Soit cet immense scandale de malversations destinées à enrichir des cadres corrompus du PP (Parti Populaire), le principal parti de droite en Espagne, qui a éclaté en 2009 et a partiellement été jugé en mai de l’année dernière. Guidé par une mise en scène hyper-nerveuse, le film parachute littéralement le spectateur au coeur d’une intrigue appelée à solidement s’emballer. Il y cueille Manuel López-Vidal, homme politique influent de sa région, à la veille de son entrée à la direction nationale de son parti. Impliqué dans une affaire de corruption qui menace l’un de ses amis, il se retrouve bientôt pris au piège. Acculé, violemment expulsé de sa bulle d’impunité, il refuse la descente aux enfers hallucinée qui s’ouvre à lui…

[Critique ciné] El Reino: Les politiques sont-ils tous pourris?

Sauver sa peau

Trouvant dans l’actualité la plus brûlante matière à alimenter un thriller à la cadence littéralement endiablée, Sorogoyen affirme avoir dû écarter certains faits bien réels de son scénario car ils manquaient de crédibilité. Quand l’énormité de la réalité dépasse celle de la fiction, cette dernière n’y puise pas moins la dose de carburant nécessaire à un énorme shoot d’effervescence stupéfiée. Construit à la manière d’un survival, où le seul objectif identifié est de sauver sa peau, le film semble à vrai dire quasiment coké, procédant par irrésistibles montées d’adrénaline suivies de descentes abruptes d’ego pour les protagonistes hagards de ce « roller coaster » à l’espagnole parfaitement maîtrisé. Impression renforcée par la bande-son omniprésente d’Olivier Arson, grand huit d’électro qui pulse et donne la sensation d’être embarqué pour 130 minutes de clubbing intense.

Certains, bien sûr, ne manqueront pas de reprocher au film son absence totale de recul, son manque rédhibitoire de perspective. C’est justement là tout l’intérêt pervers de l’objet. Littéralement rivée au personnage de Manuel, la caméra ne donne pas d’autre choix que de plonger au coeur de ses tourments -ces plans-séquences à la tension paroxystique sur un balcon puis dans une maison. Au spectateur lui-même de questionner sa propre identification ou non avec ce protagoniste aux abois. Et si le final, bavard, pourra sembler très littéral ou moralisateur, on lui a surtout trouvé des cojones grosses comme ça.

El Reino :

De Rodrigo Sorogoyen. Avec Antonio de la Torre, Josep María Pou, Bárbara Lennie. 2 h 10. Sortie: 17/04.

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