Crash-Test S05E28: À l’intérieur de ma vie intérieure

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Des questions sur l’avenir, des ruminations sur le présent et la nostalgie du durum, ce Crash-Test S05E28 est en quarantaine comme tout le monde. Essayer de faire rire quand on s’ennuie et qu’il est interdit de faire des choses intéressantes, quelle gageure !

Ceci n’est pas un journal de confinement, juste de la rumination. Je n’ai rien de bien intéressant à raconter sur « la situation ». J’ai mal au cul à force d’être assis, quelle belle jambe cela vous fait. J’ai pris beaucoup de plaisir à aller à la bulle à verre, l’anecdote de ouf. Pour tenter de guérir mon mal de cul, je vais peut-être me lancer dans l’aérobic en regardant de vieilles séquences de Jane Fonda sur YouTube, youpi! Bref, décrire la monotonie de ses journées à l’intérieur, il faut laisser ça aux auteurs français du XIXe siècle. Voilà. Cela dit, à l’intérieur, ma vie intérieure continue. Ca rumine, donc. Ce qui est peut-être plus intéressant à léguer à la postérité qu’un journal relatant des faits. J’ai bien dit « peut-être ».

Je vois des gens partager des listes culturelles, je prends des notes. Puis, comme il n’y a vraiment pas urgence, plutôt que de regarder de bons films encensés comme tels, j’essaye des conneries. Comme d’habitude. C’est ainsi que je me suis retrouvé devant New Rose Hotel d’Abel Ferrara, nullité sans nom, et Under The Shadow de Babak Anvari, film de fantômes iranien plutôt pas mal jusqu’à ce que des effets spéciaux grand-guignolesques viennent tout gâcher. Note pour plus tard : proposer un top-10 des films d’horreur foutus en l’air par des effets spéciaux semblant tout droit sortis de TikTok. J’ai sinon commencé une dizaine de livres sans en finir aucun. Sauf une bédé : Mon Ami Dahmer de Derf Backderf. Forcément, je me suis ensuite demandé si moi aussi, j’avais été à l’école avec un tueur en série. Ou si, du moins, j’avais été en classe avec quelqu’un de connu. Bingo ! Ma première troisième secondaire : Tino De Martino, futur bassiste de Channel Zero et de la formule actuelle de La Muerte ! Mais ça n’a pas duré. En revanche, adolescent, je fus proche de François Perl, le directeur de l’INAMI. Hohoho, me reviennent en tête pleines d’anecdotes rigolotes. A l’entrée de la discothèque bruxelloise Le Garage, la nuit du cheval en plein milieu de l’Irlande, Ingrid… Idée d’occupation confinée: Mon Ami Perl, dans 6 mois en rayons chez votre marchand de bédés favori.

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Ce serait ma participation au tsunami d’autofictions piteuses qui s’annonce. A la tonne de bandes dessinées au bic truffés de fautes d’orthographe qui vont sortir, puisqu’il n’y aura plus de sous dans le secteur pour payer des éditeurs, des metteurs en page et des correcteurs. C’est aussi le moment d’écrire un pensum politique en mode « plus jamais ça ». Deux options seulement : prôner en écriture inclusive un monde « plus chouette et Greta-friendly » où le trimestre de confinement devient un rendez-vous annuel, comme la Tournée Minérale et le Movember. Ou alors en appeler aux retour des mitraillettes aux frontières. Et imposer le moins de 37°2 C obligatoire avant de prendre l’avion.

Je m’ennuie comme je m’ennuierais un dimanche sans fin : sous un plaid de neurasthénie, dans une baignoire de monotonie. J’ai développé une obsession pour le durum. Le durum me manque grave mais je n’ai aucune envie de faire la file avec d’autres zombies, chacun dans son périmètre de sécurité d’un mètre cinquante, au snack du coin. Et encore moins de faire pédaler un esclave moderne avec juste un durum sur le dos. J’en suis donc venu à gérer mon manque de durum comme je gérais, enfant, l’attente d’ouvrir mes cadeaux à la Saint-Nicolas. La fébrilité, ce doux poison. C’est du sadomasochisme light.

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Certains aiment se faire cravacher les fesses, moi, je m’imagine le goût de l’andalouse sur mes lèvres. Je suis bien nourri, je ne manque de rien et malgré tout, en écrivant ceci, j’en viens à baver. Le bruit du papier alu, la frite hyper grasse, la viande plus que douteuse. Durum, j’écris ton nom. Durum, je te chante mon amour. Voilà d’ailleurs encore une belle leçon de réalité. Dans Matrix, ils sont nostalgiques du steak-frites, dans Soleil Vert de la laitue. Note pour plus tard : en cas d’écriture d’une fiction apocalyptique, ne surtout pas oublier la razzia sur le PQ, l’eau en bouteilles, les chips et la Danette. Et bien insister sur la nostalgie du durum.

Sinon, je n’ai pas d’avis sur la chloroquine. Je n’ai pas d’avis sur le port du masque. Je n’ai pas d’avis sur l’immunité de groupe. Je n’ai pas d’avis sur le cinéma belge en accès libre, ni sur la chronologie des médias. Je n’écoute pas les mixs récents de dj’s de chambrettes, ni les chansons sur le confinement. Il m’amuse plutôt de ressortir des vieilleries qui prennent aujourd’hui un sens nouveau : Fier de ne rien faire des Olivensteins. I’m Bored d’Iggy Pop. Staring at The Ceiling des Echocentrics. Le Port du Masque est de Rigueur d’Essaie Pas. Là où j’ai un avis, par contre, c’est que je ne pense pas qu’il sortira de cette crise sanitaire un monde meilleur. On n’est pas dans Watchmen, ni dans Mars Attacks! Quand tout cela sera fini, la farandole de rue lancée par DJ Pangolin ne sera même pas terminée que l’on se tapera déjà dessus. Quand tout cela sera terminé, c’est alors que débutera vraiment l’apocalypse. D’ailleurs, c’est décidé : après le cinquième durum, ça sera une maison au fond de la forêt, dotée d’une cache de ravioli. Les survivalistes ne me font plus rire du tout. Je veux apprendre à moi aussi cuisiner de la soupe de sapin et distinguer une toux humaine à trois kilomètres.

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Ce que je pense aussi, c’est qu’il ne faudra pas non plus attendre bien longtemps pour que les spectres aujourd’hui invisibles et inaudibles reviennent hanter le crachoir. 5 kopecks contre 2 trous de chaussette qu’Eric Zemmour non seulement survivra médiatiquement à cette crise mais deviendra même une figure importante du Frexit, puisqu’il semble tout de même déjà acquis que la question de l’utilité de l’Union européenne sera forcément un très gros pavé à balancer dans la mare. Autre pari sur l’avenir : quel rappeur sera le premier à sortir J’irai Tousser sur Vos Tombes ? Et quid des antivax ? Le mouvement anti-vaccination peut-il survivre à cette pandémie historique ? Quelle figure politique et/ou culturelle sortira d’ailleurs grandie de ce truc, plus aimée qu’avant ? Et il y aura-t-il une parade de virologues à Plaisirs d’Hiver ? Que de questions… Mais c’est pas tout ça. C’est l’heure d’une Danette ! Et après ça, Jane Fonda !

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