Serge Coosemans

Ces millenials qui polluent grave et la nostalgie du « jeudi, c’est ravioli »

Serge Coosemans Chroniqueur

Il y a quelques mois, une étude britannique annonçait que les 18-34 ans avaient une approche révolutionnaire du gaspillage alimentaire. Vendredi dernier, une autre étude attribuait à ce même segment démographique une large partie de la montagne annuelle de poubelles anglaises. Foodporn, « live to eat » et carambolages, c’est le Crash Test S02E20.

Depuis plusieurs mois, Sainsbury’s, l’une des grandes chaînes de supermarchés du Royaume-Uni, s’est engagée à combattre le gaspillage alimentaire. Pour ce faire, elle a lancé une campagne en plusieurs phases du nom de « Waste less, save more » (« Gaspillez-moins, économisez plus ») et qui combine mécénat, expérience citoyennes, études, etc. Le but est de réduire le gaspillage alimentaire, cette « véritable épidémie au Royaume-Uni », de 50%; ce qui rapporterait par ailleurs aux ménages anglais au moins 350£ par an. La plus médiatisée de ces actions a toujours lieu dans le village de Swadlincote, dans le Derbyshire, où des familles ont accepté de mener une expérience d’un an bouleversant totalement leur rapport à la nourriture. Elles apprennent de nouvelles recettes, à consommer différemment, peuvent partager les restes entre voisins via une application de smartphone, ont reçu des frigos intelligents, etc. Tout cela est fort joli. En revanche, ce qui l’est beaucoup moins, même si désespérément hilarant, ce sont les résultats d’une autre étude commanditée par Sainsbury’s et qui ont été publiés fin de la semaine dernière dans la presse britannique.

On y apprend qu’il existerait un fossé générationnel énorme entre la génération qui a connu le rationnement en Angleterre (de 1939 à 1954), leurs descendants directs de la génération X (1960-1980, plus ou moins) et les millenials, en gros, tous ceux nés entre le milieu des années 80 et le début des années 2000. Ces 18-34 ans, dit l’étude, sont surtout « préoccupés par la présentation visuelle de la nourriture à photographier et à partager sur les médias sociaux ». C’est y aller un peu fort à la grosse louche dans la soupe aux clichés mais l’étude est formelle: 17% de ces moins de 35 ans gaspillent effectivement énormément. En fait, ils semblent carrément incapables ou du moins peu désireux de planifier leurs menus et leurs achats, ce qui fait qu’ils dépensent beaucoup lors de razzia quasi-compulsives mais qu’une part importante de cette nourriture achetée est ensuite gaspillée. Résultat des courses: une participation très active aux 15 millions annuels de tonnes de déchets alimentaires au Royaume-Uni, parmi lesquels 7 millions directement issus des ménages.

Jeudi, c’est ravioli

En fait, avance l’étude, 55% de ces millenials ont tout simplement un rapport totalement différent à la nourriture que leurs aînés. Ils « vivent pour manger » (« live to eat »). Se nourrir n’est pas une nécessité mais un plaisir, ce qui implique donc de plus grosses dépenses, un rapport perçu comme assez irrationnel à l’offre alimentaire ainsi que davantage de déchets. Les autres générations « mangent pour vivre » (« eat to live ») et ont même souvent été élevées dans un cadre aux repas chaque semaine invariables (« jeudi, c’est ravioli »). Cela n’en fait pas de tristes sires. Le véritable plaisir est réservé aux grands repas familiaux et aux grosses bouffes entre amis, aux virées gastronomiques, aux petits restos… Mais le reste du temps, surtout chez soi et en semaine, la nourriture est principalement fonctionnelle. En revanche, nous dit l’étude, les millenials, eux, essayent des recettes inhabituelles tout le temps, avec des ingrédients difficiles à réutiliser si pas entièrement consommés. Ils gaspillent d’autant plus que leurs plats compliqués étant aussi destinés à être photographiés, ils en retirent tout élément non esthétique. Pire encore, ils manquent souvent de la connaissance culinaire nécessaire à les réussir du premier coup. Bref, leur bêtise crasse détruit le monde, après avoir déjà détruit tout le fun des réseaux sociaux, la brocante et la seconde main, l’indie-music, le hip-hop, le cinéma, les centre-villes, le café, les pinards, la bistronomie, l’envie de se taper des jeunettes et le commerce des bonnes drogues.

Cette étude est-elle bidon? Je n’en sais rien. En tant que quadragénaire complètement horrifié du rapport bien tordu à la bouffe que peuvent avoir certains millenials, de l’influence de cette obsession du « live to eat » sur la culture urbaine surtout, elle me caresse dans le sens du poil, en plus de me faire bien ricaner. Après, ça ne m’empêche pas de me poser quelques questions éventuellement dérangeantes pour une chaîne de supermarchés. Charger le millenial, c’est en effet bien joli mais qui va lui donner envie et accès à toutes ces bouffes compliquées, donc gaspillées? Qui emballe légumes et fruits dans des sachets de plusieurs kilos plutôt que de les laisser en vrac? Qui baisse le prix de ces sachets par rapport au vrac? Qui est le plus golmon entre le millenial qui prépare un plat immangeable pour le photographier et le poster sur Instagram et le petit génie de l’industrie agro-alimentaire qui a un jour eu la riche idée de mettre en rayons des quartiers d’oranges dans des barquettes plastifiées ou, sous le même packaging, des rondelles de courgettes prédécoupées destinées aux lasagnes? J’ai sinon gardé le plus désolant pour la fin: il y a moins de 6 mois, en septembre 2016, une autre étude britannique bien médiatisée attribuait aux millenials une approche totalement révolutionnaire du gaspillage alimentaire. Bref, exactement le contraire ce qui est sorti vendredi. Et après, on s’étonnera encore que la jeunesse préfère placer son argent dans un kimchi plutôt que de sauver le journalisme.

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