Baroque et barré: Elzo Durt commente cinq oeuvres récentes
C’est une évidence: en matière d’impact visuel, difficile de faire plus percutant qu’Elzo Durt. Sa patte acide, ses images psyché et sa palette criarde sont reconnaissables entre mille. Né à Bruxelles en 1980, ce graphiste et illustrateur a toujours habité les marges de la création. C’est à Recyclart, lieu pilote sous la gare Bruxelles-Chapelle, que tout a commencé pour lui. Durt y réalise son travail de fin d’études dans le cadre de son cursus à l’Erg. « J’avais l’idée de rassembler toutes les images et les sons de la contre-culture bruxelloise », explique-t-il en tirant frénétiquement sur sa cigarette électronique. Le projet de compilation underground ne se concrétisant pas, Elzo Durt décide à la place de prendre les commandes de l’endroit pour une semaine. L’alliance entre Recyclart et Durt est scellée. Au fil du temps, elle revêtira des formes distinctes, entre galerie d’art, direction artistique, création graphique et organisation de soirées.
Cette expérience, couplée aux images propagandistes de sa militante de mère et le souvenir fondateur des pochettes de disque de son père, va forger son style, totalement libre, iconoclaste et appropriationniste. Libre? Il le confie: « Depuis le début, je ne fais que des travaux qui me plaisent. Je n’ai jamais eu de patron, ni d’équipe, je travaille dans mon coin et ça me va bien ». L’argent ne change rien à l’affaire, « le nombre de boulots que j’ai réalisés sans être rétribué est considérable, je pratique souvent le troc, si possible des albums de musique… De toute façon, je n’ai pas besoin de grand-chose. » Une dernière affirmation que souligne le tout petit appartement, trou de nez chargé jusqu’à la garde, qu’il partage avec sa femme et son fils. Iconoclaste? Durt l’est définitivement, ne serait-ce que parce qu’il s’est fait un nom « sans même savoir dessiner » et qu’il n’a pas son pareil pour détourner les images. Ces détournements amènent tout naturellement à se pencher sur l’appropriationnisme qui le caractérise sans doute plus que tout.
Les différentes périodes de son travail -quinze ans déjà sur lesquels reviennent une exposition à la galerie du jour d’agnès b. à Paris ainsi qu’une magnifique somme que publie le label de musique français Born Bad Records à l’occasion de ses dix ans- sont clairement marquées par le type de matières premières visuelles qu’il glane, en grande partie chez Pêle-Mêle. « Vieilles bandes dessinées merdiques, gravures, cartes postales, documents anciens, vieux magazines… ce que je fais, c’est redonner vie aux images avec une souris et un scanner », synthétise ce fou de musique dont la main tremblante trahit la fébrilité. La fébrilité des grands écorchés.
« Je suis une belle illustration de la maxime qui veut que personne n’est prophète en son pays. Je ne travaille quasi jamais pour la presse belge. Cette illustration a été réalisée pour L’Express mais j’ai également bossé pour Le Monde et Libération. Les délais serrés de la presse me stimulent. J’aime beaucoup travailler à partir d’un texte. En l’occurrence, il s’agissait d’une sélection de romans noirs. Je l’ai réalisée à partir de plusieurs gravures de provenances diverses. »
« Au départ, il s’agissait d’une affiche que j’ai créée pour un petit festival de musique en Italie. Cette image marque le début d’une période caractérisée par l’emploi d’une matière première nouvelle, à savoir des bandes dessinées des années 70 et 80. L’idée est de trouver des dessinateurs dont le trait correspond à mon univers. Après, je les emmène ailleurs, j’opère un recyclage total de l’image. Par ailleurs, la tête de mort occupe une place centrale dans mon iconographie. »
« J’ai toujours voulu faire des pochettes de disques parce que j’aime par-dessus tout l’idée de lier une image à de la musique. Et puis, ça me donne un lien intime avec le disque. Cette demande qui émanait de Born Bad n’était pas facile, à l’image du côté improbable de Francis Bebey, musicien africain électro-psychédélique des années 70. Il fallait tout à la fois que ça soit moderne sans être colonial et que ça évoque l’Afrique sans donner dans la carte postale. »
« Je suis fan de ce groupe liégeois depuis ses débuts. En 2007 déjà, j’avais claqué toutes mes économies pour publier leur premier album. Je ne rate rien de ce qu’ils font, raison pour laquelle j’ai signé la moindre de leurs pochettes. Pour celle-ci, qui est sortie sur mon label Teenage Menopause Records, je voulais utiliser le principe d’une planche, une sorte de bande dessinée sans narration précise. C’est un mélange entre des cases hyper-obscures et des illustrations piquées dans des magazines des années 50-60. »
« Ma rencontre avec Jean-Baptiste Guillot, le boss du label Born Bad Records, a été déterminante. Ça m’a beaucoup aidé dans mon parcours. Il y a une exigence dans cette relation qui me pousse vers le haut et m’éloigne des sentiers battus. Ce n’est pas un hasard si c’est Born Bad qui a financé la publication de mon livre. J’ai imaginé ce flyer, inspiré par l’univers des poilus de la guerre 14, pour la tournée des dix ans. L’accouchement a été difficile: quatre jours et quatre nuits pour pondre ce visuel. »
Complete Works 2003-2016, Elzo Durt, enviro 40 euros. En vente sur www.bornbadrecords.net et dans plusieurs librairies (Peinture fraîche, Pêle-Mêle, Cook & Book…)
Colors & Glory, Elzo Durt, Galerie du jour, 44 rue Quincampoix, à Paris. Du 28/04 au 10/06. www.galeriedujour.com
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici