Ballon Rouge, une galerie aux semelles de vent

Hélène Duménil, à l'origine du B.R. Club, espace collaboratif. © LOLA PERTSOWSKY
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Structure nomade fondée par Hélène Duménil, Ballon Rouge promeut la création émergente à travers un projet déployé à Los Angeles, Londres, Istanbul, São Paulo, Paris, New York. Et Bruxelles.

Actualité double pour Ballon Rouge Collective (1). Début mars, ce projet nomade inaugurait un accrochage collectif dans un espace de 90 m² au centre de Bruxelles. Nom de code? B.R.Club. Hélène Duménil (1979) est à la source du projet. « La galerie reste nomade mais nous avons désormais un coeur qui bat dans la capitale. Le Club est un lieu atypique. Il s’agit d’un espace collaboratif où, en sus de nos propres expositions, nous invitons d’autres galeries – qui ne font pas forcément partie de notre réseau -, des associations à but non lucratif, des conservateurs et d’autres initiatives à investir l’espace. L’objectif est d’avoir une relation d’échange avec nos invités, et de pouvoir, en retour, exposer nos artistes dans leurs lieux, afin que des artistes émergents soient présentés à un public international », détaille l’intéressée. Ce n’est pas tout: fin avril, lors d’Art Brussels (2), Ballon Rouge (qui tient son nom d’un moyen métrage de 1956, signé Albert Lamorisse, racontant l’amitié d’un gamin de Ménilmontant avec un ballon rouge) aura le privilège de figurer au sein de Invited, une toute nouvelle section très prisée qui sacre une nouvelle génération d’initiatives. B.R.Collective, en version abrégée, débarquera avec deux artistes sous le bras: Merve Iseri (1992, Istanbul), peintre vivant et travaillant à Londres, et Philip Janssens (1980, Lille), artiste basé à Bruxelles dont la pratique repose sur le tissage.

Au-delà de l’ici

Un double succès qui est à interpréter comme le signe d’une pertinence au coeur d’un marché de l’art conservateur trop souvent grippé par des automatismes d’un autre temps. L’histoire de ce concept pas comme les autres prend sa source dans une existence baignée depuis toujours dans les eaux chaudes des arts plastiques. « Avec un père collectionneur et des parents qui m’ont emmenée dans les musées depuis mon plus jeune âge, l’immersion a été totale, commence Hélène Duménil. C’était pour moi une évidence quant à mon futur métier. J’ai d’abord tâtonné avant de me rendre compte que l’art émergent serait le prisme à travers lequel j’aborderais les choses. » Mais pourquoi l’art émergent? Parce que cette passionnée de création a constaté, d’une part, que les débuts de carrière étaient « extrêmement difficiles » et, de l’autre, que c’était souvent « les mêmes qui sont montrés ». Ce sont ces états de fait qui l’ont poussée à imaginer un nouveau programme d’exposition. Elle poursuit: « On peut dire que Ballon Rouge Collective est le condensé d’une vie qui est la mienne. J’ai vécu dans plusieurs des pays dans lesquels nous exposons, c’est ce qui a marqué le projet: enfance à Paris, études d’architecture d’intérieur en Angleterre, job dans le département contemporain de Sotheby’s à New York, installation à Istanbul pour le simple plaisir de vivre dans un endroit que je ne connaissais pas du tout… J’ai également travaillé à Brooklyn dans une galerie qui n’avait pas un sou. Je devais trouver des artistes, passer le balai, faire les comptes, servir des bières pour le vernissage. Bref, l’apprentissage idéal. »

Forte de ces expériences multiples, Hélène Duménil se met à rêver de sa galerie si elle « oubliait les règles », si « elle ne prenait pas le chemin de la concurrence mais du partage ». En ce sens, les circonstances vont aider la jeune femme à trouver sa voie. Début 2016, elle arrive en Belgique pour ouvrir un lieu d’exposition en partenariat avec un galeriste londonien. L’arrivée d’un enfant et les attentats du 22 mars 2016 compliquent sérieusement la donne. « Avec nostalgie, je me suis mise à repenser à tous les endroits où j’avais vécu précédemment ainsi qu’à toutes les personnes du monde de l’art que j’y laissais. Je me disais: « Qu’est-ce que ce serait bien si tous mes contacts étaient au même endroit que moi! » Au lieu de m’en tenir à une rêverie stérile, je me suis demandé comment faire pour aboutir à un projet malgré la distance… » Poussant sa réflexion plus loin, la Française comprend que les questions qui la taraudent rejoignent les enjeux des artistes émergents dont la problématique consiste précisément à atteindre un au-delà du lieu où ils s’expriment. « Les artistes émergents commencent à exposer à l’endroit où ils se trouvent mais comment font-ils par la suite pour s’adresse à une audience plus large? C’est toute la différence entre eux et les artistes établis qui bénéficient d’une audience globale », constate Hélène Duménil.

Le contact personnel comme fil conducteur

Dès lors, il s’agira de briser les murs invisibles qui empêchent des plasticiens talentueux d’accéder à une reconnaissance plus large. « Ce qui m’importe, c’est la collaboration, concède celle qui exerce parallèlement le métier de consultante pour des collectionneurs. En collaborant sur un projet par-delà les frontières, des dynamiques inattendues surgissent. Nous fonctionnons selon le principe suivant: dans chacune des sept villes où nous sommes établis (Los Angeles, Londres, Istanbul, São Paulo, Paris, New York et Bruxelles), un curateur de référence choisit un artiste qu’il défend. Le programme est donc éclectique et mondial. L’idée est que les différents talents sélectionnés soient exposés chez eux mais que, par la suite, les autres curateurs leur offrent une visibilité à l’étranger. C’est de cette façon que la rotation se fait. Mon rêve est qu’un lien fort se tisse entre un artiste originaire d’un pays et un curateur issu d’un autre. Si cela ne prend pas, tant pis, c’est un grand saut dans le vide, tout le modèle est une invention complète », précise-t-elle.

Autre particularité: en dehors de la nouvelle antenne de Bruxelles, aucune des autres villes ne dispose d’un lieu en propre. Là aussi, il est question d’inverser les logiques habituelles: choisir un environnement d’exposition qui fait écho au travail proposé plutôt que l’insérer dans une boîte blanche aux contours arrêtés une fois pour toutes. C’est en 2017, à Istanbul, que s’est déroulé le premier solo show à l’initiative de Ballon Rouge Collective. Depuis, la formule n’a fait que se développer. Les mois et les années qui viennent s’enrichiront de représentations dans de nouveaux pays et continents. Il reste que ce sera toujours le contact personnel qui servira de fil conducteur. « Il y a toujours quelque chose qui nous lie », insiste l’initiatrice. Comme à São Paulo, par exemple, où Hélène Duménil collabore avec une ancienne consoeur, à savoir Sol Camacho qui dirige également l’institut Lina Bo Bardi. Moralité? L’affinité plutôt que la filiale, le réseau plutôt que la franchise: que l’art se trouve un nouveau format est un signe des temps dont il faut se réjouir.

(1) B.R.Club, 2, place du Jardin aux Fleurs, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 11 avril prochain. www.ballonrougecollective.com

(2) Art Brussels 2019, avec Merve Iseri et Philip Janssens, du 25 au 28 avril prochain. www.artbrussels.com

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