Avignon 2013: Love « In », Fuck « Off »

Nés poumon noir Mochélan © Leslie Artamonow
Nurten Aka
Nurten Aka Journaliste scènes

Tandis que les rues nuisent au OFF, le Festival d’Avignon porte brillamment ses galons IN.

A 35° degrés météo, ça tape dans les rues bondées d’Avignon, envahies par la face vulgaire du OFF: une foire théâtrale pour qui se paie un créneau, une heure et un espace. 1250 spectacles en trois semaines dès 10h. Comme chaque année, on retient les titres les plus nazes: « L’Abus d’amants est dangereux pour la santé« , « Après le mariage, les emmerdes », « Le con, la cruche et le chaud lapin », « Copines comme cochonnes », « Le pet, la prout et le prof »… Les affiches suivent le mouvement. Les « artistes » beaufs, ça existe.

Le OFF « beauf » contre le OFF de qualité

Par contraste, le bon OFF peut compter sur le spectateur actif, le bouche à oreille, ou encore la réputation des lieux (le Balcon, le Chêne noir, le Théâtre du chien qui fume, le Verbe incarné, la Manufacture, les Halles, les Doms,…). Dans son QG (maison avec piscine), un metteur en scène bruxellois, réputé pour ses soirées avignonnaises, donne rdv sur Facebook: « tous les jours à 14H15, numéro de phoque dans la piscine, à Avignon OFF OFF OFF »… « Phoque-OFF« , répond la clique joyeuse. A Avignon, on délire mais le Festival OFF a sérieusement besoin d’un lifting ou d’un « OFF OFF Avignon » histoire de ne pas laisser la médiocrité nous aveugler.

Le IN: théâtre en partage

A côté de cette « kermesse », le IN: une quarantaine de spectacles choisis avec soin, entourés de débats politiques et esthétiques, de lectures littéraires, de rencontres avec les artistes et de quelques expositions d’art contemporain.

Année charnière, la 67ème édition du Festival est aussi la dernière, après 10 ans, pour le duo dirigeant Hortense Archambault et Vincent Baudriller. D’apparence « secs et peu chaleureux », ils ont eu un vrai don de soi au service des artistes. Dès le début, ils ont associé un ou 2 artiste(s) de renom à leur programmation. Peu d’artistes femmes, certes, mais le concept nous a valu des éditions passionnantes avec Thomas Ostermeier, Romeo Castellucci, Jan Fabre, Josef Nadj, Wajdi Mouawad, Christoph Marthaler, Valérie Dreville… Non sans polémique, on a vu – au grand dam des « puristes du texte » – la scène contemporaine, pluridisciplinaire, s’installer dans les mentalités du Festival d’Avignon. Pourvu que ça dure.

Dès septembre prochain, l’homme de théâtre, Olivier Py – parachuté par le ministre de la culture de l’époque (Frédéric Mitterrand) – reprendra le flambeau du plus célèbre festival du spectacle vivant en Europe. La barre est placée haut par le duo Archambault/Baudriller.

Sans final ronflant, leur dernière édition se poursuit dans la cohérence de son audace. Premièrement, en y associant un jeune artiste africain, Dieudonné Niangouna (du Congo-Brazzaville), qui, avec le Français Stanislas Nordey, cosigne une programmation d’où émerge la vitalité de la nouvelle scène contemporaine africaine (lire par ailleurs).

Ensuite, cadeau pour le suivant, en inaugurant la FabricA, un nouveau bâtiment dans les quartiers populos d’Avignon, qui servira de lieu de répétition et de résidence pour les artistes, condamnés à répéter dans des lieux de fortune, ou dans une Cour d’Honneur exposée aux passages pluvieux.

Ouvert au public le temps du festival, la FabricA a été inaugurée par le spectacle-marathon (plus de 7h) Faust I et II de Goethe, mis en scène par l’Allemand Nicolas Stemman. C’est un des gros succès d’Avignon 2013, à côté de l’artiste espagnole « écorchée vive » Angelica Liddell, des Particules élémentaires de Houellebecq, mises en scène par le jeune Français Julien Gosselin, ou encore D’Après une histoire vraie du chorégraphe Christian Rizzo. Galère pour trouver une place!

Nordey en fausse Cour d’honneur

Notre première semaine d’Avignon s’est expressément voulue « émergences africaines » (lire par ailleurs), excepté l’ouverture (décevante) en Cour d’Honneur par Stanislas Nordey avec Par delà les villages de Peter Handke. La pièce dessine la confrontation d’une fratrie sur fond d’héritage et d’émancipation entre le frère et la soeur restés ouvrier/vendeuse et un autre frère devenu artiste-intellectuel. La plume Handke va aux oppressés, mais ici, l’ouvrier est peu crédible, l’histoire, boiteuse, prétexte à des tunnels de monologues. Dommage de ne pas avoir resserré les vis dans les 4h30 de spectacle. Mais surtout, la pièce est imbuvable par un jeu fort déclamé de ses interprètes: Jeanne Balibar et Laurent Sauvage en tête, Emanuel Béart et Nordey suivant de peu. Le tout dans la beauté d’un Cour d’Honneur inexploitée en fausses baraques d’ouvriers. Un décor pratique pour la tournée?

Et les Belges dans tout ça?

Comme d’habitude, les Flamands s’attirent le « In » comme Anne Teresa De Keersmaeker (Partita 2), Jan Fabre (Le pouvoir des folies théâtrales), Jan Lauwers (Place du Marché 76), Alain Platel (Out of Context), Guy Cassiers (Orlando). Certains en représentation unique dans le cadre « des artistes un jour au festival », voulant partager cette dernière édition.

Côté francophone, on retrouve nos artistes dans leurs lieux attitrés du (bon) Off, au théâtre des Doms, la vitrine de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Manufacture, scène privée, au programme franco-belge. Aux Doms, QG sympathique des Belges, on retrouve, salué par la presse régionale, Vision (impressionnant solo d’amour au cinéma hollywoodien) de Pierre Megos, Smatch1 (laboratoire truculent de philosophie animalière) de Dominique Roodthooft (premier « sold out » des Doms) In vitrine (spectacle creux sur le bonheur) et Combat avec l’Ombre de Bauchau (du théâtre de chambre à la Dussenne). Autant de spectacles qui touchent le public français et les nombreux programmateurs présents. A la Manufacture où l’on retrouve l’excellent Discours à la nation, une texte cocasse de sociologie politique écrit et mis en scène par Celestini, joué par le talentueux David Murgia et une création de J.M Van den Eeynden, Nés poumon noir avec la rappeur Mochélan, hommage à Charleroi et ses mineurs.

A Avignon, on découvre toujours un Belge au détour d’une rencontre. Patrick Corillon se produit en appartement, Laetitia Ajanohun joue dans Shéda de Dieudonné Niangouna, Zidani tracte dans les rues, et un jeune hurluberlu nous accoste pour son spectacle sur le 21 juillet!

Comme toujours à Avignon faut savoir démêler les fils, de la scène pourrie à la grâce du spectacle, du matin au soir, en pleines rues, en salles bondées, parmi la sueurs des spectateurs et s’offrir une sieste inattendue le temps d’une poésie sonore capturée parmi les arbres…

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