Alex Vizorek, Guillermo Guiz et Samia Orosemane: « L’humour a un rôle à jouer contre le racisme »

Samia Orosemane, Alex Vizorek et Guillermo Guiz seront sur scène pour le spectacle 'Rire ensemble contre le racisme' © ISOPIX/MEHDI MANSER/ISOPIX

Après une première édition en 2012, Rire ensemble contre le racisme revient à Bruxelles le 13 mars prochain au Palais 12, avec un plateau joliment fourni d’humoristes de chez nous comme d’ailleurs. L’occasion de se pencher sur le thème très « touchy » du racisme avec Alex Vizorek, Guillermo Guiz et Samia Orosemane.

Rire ensemble contre le racisme, c’est le triomphe de l’humour sur la haine. Armés de vannes et de punchlines, quelques-uns des meilleurs humoristes du royaume partiront en guerre contre la xénophobie, la discrimination et toutes sortes de racisme. Cette année, l’accent sera mis sur la discrimination à l’embauche qui sévit encore énormément aujourd’hui, et l’intégralité des bénéfices seront reversés au MRAX, cellule contre la discrimination à l’embauche. Dans notre pays, on compte 30% de chômage pour les personnes d’origine étrangère contre 10% pour les Belges d’origine. Des inégalités qui ont fait germer ce nouveau projet qui aura pour but de stopper la stigmatisation de nos différences et de prôner le vivre-ensemble. Parce qu’il vaut mieux rire de nos différences plutôt qu’elles nous divisent.

Parmi l’armada d’humoristes qui seront présents pour cette édition figurent Alex Vizorek, Samia Orosemane et Guillermo Guiz. Rencontre avec ces trois visages de l’humour belge et français.

Quelles ont été vos motivations pour participer à cet événement?

Alex Vizorek: L’argent, évidemment! Et aussi le fait que je sois un grand passionné de racisme! (rires) Non, plus sérieusement, ce sont des thèmes assez touchy que les humoristes aiment bien aborder car en règle générale ça les désacralise, ça les concrétise, et c’est surtout chouette de les aborder avec toutes les races sur scène. Après, y a-t-il vraiment des races? Je n’en sais rien, mais peu importe, l’important c’est d’en rire. Si tu fais un grand débat du style L’émission politique avec Finkielkraut, tu crispes tout le monde.

Vous pensez que le racisme s’est banalisé aujourd’hui?

Samia Orosemane: La parole s’est libérée, clairement, surtout ici. Peut-être dû à la politique qu’il y a eu, mais les gens disent plus facilement ce qu’ils pensent en considérant que c’est juste une opinion et que ce n’est pas un délit. Je pense que d’en rire et de l’apporter d’une autre manière, de mettre le doigt là où ça fait mal, ça peut justement atténuer les tensions qu’il peut y avoir. Je sais que dans mon spectacle tout le monde s’en prend plein la figure, et tout le monde rigole ensemble.

AV: Il y a une forme de libération, mais j’ai l’impression que la moyenne des gens est moins raciste qu’il y a 30 ans, ou en tout cas je l’espère. Les médias le relayent peut-être plus.

SO: Et les réseaux sociaux!

AV: Oui, mais je pense que si il y avait eu les réseaux sociaux il y a 30 ans ça aurait été bien pire.

Guillermo Guiz: Il ne faut pas croire que dans les réunions de famille d’il y a 30 ans tout le monde était peace and love. Il y a toujours eu un racisme latent dans la société, moi je l’ai toujours connu en tout cas et j’ai été obligé de me battre contre ça, même dans ma propre famille. Ce n’est pas de la méchanceté au final, c’est juste de l’incompréhension et de la non-connaissance de l’autre. Mais je ne suis pas persuadé qu’il y ait un plus grand racisme dans la société aujourd’hui.

Le racisme se serait accentué avec les médias alors?

AV: La parole raciste, sans doute, mais le racisme… Moi je suis très très utopiste, je pense qu’il va y avoir de plus en plus de couples mixtes, de plus en plus de gens qui vont se comprendre les uns les autres et j’espère même qu’on va se rendre compte un jour qu’il y a des hommes verts, comme ça on va pouvoir entre blancs, noirs ou bruns détester les verts! Parce que l’humain a quand même une capacité de détestation, donc il faut qu’il déteste quelqu’un. Là il a trouvé son voisin mais s’il s’avère qu’il trouve un voisin ailleurs ce serait vraiment une bonne chose quoi. Je pense que c’est vraiment un réflexe couillon d’humain. Par exemple, moi je n’en veux pas tant à Zemmour de penser ce qu’il pense parce qu’il réfléchit beaucoup, j’en veux à des gens qui disent « oui mais regardez Zemmour il l’a dit ». C’est des gens qui n’ont pas sa cervelle et qui n’ont pas son portefeuille et qui vont donc se sentir cautionnés par une parole pseudo-intellectuelle dans une démarche qui pour eux n’est qu’un ressenti. Ils ont perdu leur boulot la veille et ils voient qu’ils traversent le trottoir et il y a un noir qui a un travail. Ils font un lien qui est tout à fait idiot et c’est une souffrance à eux qu’ils expriment via une haine vis-à-vis de l’autre. Il faut essayer de « bisounoursifier » le monde dans ces cas-là plutôt que d’essayer de coller des Diane de Poitiers, des Jeanne d’Arc et des Charles de Gaulle là-dessus.

Donc les humoristes ont un rôle à jouer contre le racisme?

SO: On a un rôle contre le racisme, mais aussi contre toutes les formes d’inégalité. Clairement on est là pour porter un message, pas juste pour faire rire, il faut aussi faire réfléchir et que les gens ressortent de là avec de chouettes idées. On est responsables, on a un public qui nous écoute, donc on doit transmettre des choses.

AV: Ce serait quand même le comble de sortir d’un lieu culturel en ayant l’esprit plus fermé que quand t’y es rentré. Après je me sens moins combattant. Je préfère que ce soit moi qui prenne l’antenne 4 minutes à la radio qu’Éric Zemmour, c’est clair. Mais ce matin, j’ai fait une chronique sur le dopage en curling, je n’ai pas l’impression d’avoir changé le monde.

C’est un défi aussi de jouer devant une salle où peut-être mille personnes seront venues pour l’un et pas pour l’autre?

GG: On a l’habitude. Après, le public est essentiellement blanc dans mes spectacles. Il y a une tarte à la crème qui dit « l’humour communautaire est souvent vu comme quelque chose de péjoratif ».

SO: Quand c’est un blanc qui raconte sa vie, c’est de la culture. Quand c’est un noir, c’est de l’humour communautaire.

GG: Voilà, et si tu viens à mon spectacle, tu vas voir qu’il y a ma communauté, la communauté blanche, puis y a la communauté de Fadily Kamara qui est plus bigarrée et celle de Mustapha El Atrassi qui est aussi bigarrée. C’est juste une question de grosseur de communauté mais c’est toujours de l’humour communautaire qu’on fait d’une certaine manière. Moi c’est un truc qui m’énerve beaucoup parce qu’on a toujours l’impression que ce n’est pas bien les gens qui ont des salles remplies uniquement avec des personnes issues de leur communauté alors qu’en définitive…

SO: …C’est normal que les gens viennent voir quelqu’un en qui ils se reconnaissent!

Est-ce qu’il y a une sorte de légitimité du genre « je suis arabe donc je peux faire des blagues sur les arabes »?

SO: Je ne sais pas mais moi je m’en fiche de ça, je me moque de tout le monde! Je ne suis pas juive mais je me moque des juifs, je ne suis pas noire mais je me moque des noirs, je ne suis pas blanche ou franco-française mais je me moque des franco-français, je me fous de la gueule des ch’tis, tout le monde s’en prend plein la figure, même les Tunisiens, c’est eux les premiers tiens! Moi je pense que tant que c’est fait avec amour, ça ne pose pas de problème. Je cherche jamais à faire mal aux gens parce qu’ils ne sont pas là pour ça, ils sont là pour rire, passer un bon moment et partager du bonheur. Si c’est légitime et que j’ai vraiment blessé une personne sans m’en apercevoir, et bien j’arrange le texte.

Est-ce qu’on peut rire de tout aujourd’hui?

SO: Quand c’est fait avec amour, y a pas de problèmes. Il faut que le moteur de cet humour-là soit l’amour, quelque chose qui rassemble.

AV: Coluche, tu ne pouvais pas douter une seule seconde qu’il soit raciste. Chez les humoristes je ne sais pas de qui tu peux douter mais oui Dieudonné tu peux douter qu’il soit quand même un peu antisémite et donc c’est pas drôle, parce qu’honnêtement il faisait les mêmes blagues à l’époque avec Elie et Dieudonné, tu regardes les sketches et « c’est dommage qu’ils aient fermé les fours  » il l’ a dit à Elie qui lui répondait « remonte dans ton arbre » et tout le monde rigolait. Quand il dit aujourd’hui « c’est bête qu’ils aient fermé les fours  » en parlant de Patrick Cohen tout le monde se choque, et évidemment, quand tu peux douter que ce soit pas fait avec amour ou que ce soit en fait un message au premier degré alors que l’humour c’est du second, à ce moment-là oui c’est sûr que je suis pas convaincu qu’il faille diffuser les sketches de Dieudonné en télévision.

SO: Son vrai problème à Dieudonné c’est surtout qu’il ait commencé à mélanger avec de la politique, et à partir du moment où tu n’es plus humoriste et que tu commences à rentrer en politique, ça n’a plus de sens ce que tu fais.

GG: Comme disait Alex, il faut que les gens comprennent que tu dis exactement l’inverse de ta pensée. En principe, moi j’ai rien contre les blagues racistes, si c’est drôle et que je sais que la personne qui l’a faite n’est pas raciste, ça peut me faire vraiment rire, j’ai pas de problème avec ça. C’est l’ultime tarte à la crème de Desproges, on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui, c’est toujours une question de connivence, de savoir que les gens vont comprendre quand tu dis « les noirs ceci », « les arabes cela ». L’humour, c’est quand même pas si grave en soi. On est en train de faire de l’humour un truc qui est scientifique, sérieux, où tout le monde se protège, c’est ouf! On est en train d’en faire le truc le plus sérieux du monde alors que c’est censé être drôle. Au final, pour faire de l’humour il faut de l’amour, du deuxième degré, de l’intelligence et de la subtilité.

SO: Il faut être Belge en fait, c’est tout!

Mourad Maimouni, Direction Advisor à Brussels Expo, Managing Director de DRS et co-organisateur de l’événement

« Les gens sont beaucoup plus renfermés sur eux-mêmes, deviennent beaucoup plus communautaires maintenant qu’avant. La société est devenue beaucoup plus clivante en fait. À l’ULB, où j’ai connu Guillermo d’ailleurs, quand tu te baladais sur le campus du Solbosch, il y a vingt ans, tu voyais que c’était mélangé. Maintenant tu vois les arabes dans un coin, les blacks dans un autre… Les gens se renferment sur eux-mêmes et ça c’est un phénomène grave sur lequel on doit débattre, et on doit faire claquer la bulle en fait, les gens doivent pouvoir renouer le contact avec les autres. C’est le vivre ensemble qu’il faut prôner je pense. L’humour est une arme de rassemblement massif, et il faut revenir à l’humour d’il y a vingt ou trente ans, où on n’avait pas peur de clasher une ethnie différente. Les réseaux sociaux ont fait que c’est devenu très facilement instrumentalisé, on joue sur les différences des autres, sur les points sensibles des autres. »

Rire ensemble contre le racisme, mardi 13/03, Palais 12

Plus d’informations: www.palais12.com

Guillaume Scheunders

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