Critique

À perdre la raison

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DRAME | Quand Joachim Lafosse, profondément impressionné par l’affaire Geneviève Lhermitte, a fait savoir qu’il entendait tourner un film inspiré par cette mère coupable de cinq infanticides, d’aucuns se sont déclarés offusqués…

À PERDRE LA RAISON, DRAME DE JOACHIM LAFOSSE. AVEC EMILIE DEQUENNE, NIELS ARESTRUP, TAHAR RAHIM. 1H54. SORTIE: 30/05. ****

DRAME | Quand Joachim Lafosse, profondément impressionné par l’affaire Geneviève Lhermitte, a fait savoir qu’il entendait tourner un film inspiré par cette mère coupable de cinq infanticides, d’aucuns se sont déclarés offusqués, atterrés, embarrassés au moins par une démarche qu’ils ressentaient comme scandaleuse, inadmissible, voire pour les plus modérés trop rapide par rapport à des faits commis en 2007 et jugés l’année suivante. Mais celles et ceux qui connaissent le travail du plus doué des jeunes cinéastes belges ont tout de suite su que sa démarche n’aurait rien de louche ni d’opportuniste, rien de pervers ni de gratuitement provocateur. Les crises au sein du couple, de la famille, les rapports difficiles avec la filiation, la maternité ou la paternité, occupent depuis ses débuts le réalisateur de Folie privée, Nue propriété et Élève libre. Et son exigence tant de fond que de forme excluait toute perspective d’exploitation indigne. La découverte du film achevé leur donne pleinement raison, comme elle donne tort aux sonneurs de tocsin. A perdre la raison est une oeuvre aussi belle que terrible, aussi bouleversante qu’audacieuse. Un des actes artistiques se nourrissant du réel pour accéder au mythe, s’inspirant de faits authentiques pour élever une fiction éclairante, interrogeant celle et celui qui la reçoivent avec une acuité douloureuse, comme une invitation à observer l’impensable sans détourner le regard, parce que cet extrême absolu qu’est le meurtre d’enfants par leur propre mère questionne nos valeurs, nos limites, avec la force d’une tragédie grecque.

Film d’une pudeur exemplaire, À perdre la raison ne juge ni n’invite à (re)juger. Il n’explique pas, et excuse encore moins. Il scrute, il montre, chevillé à une actrice exceptionnelle qui inspira les Dardenne voici une petite quinzaine d’années et qui se donne avec une générosité poignante, une justesse inouïe, devant la caméra d’un réalisateur captant chacun de ses regards, chacun de ses gestes, chacune de ses déchirures, avec une folle intensité. Autour d’Emilie Dequenne, Tahar Rahim (le mari) et Niels Arestrup (son père adoptif et l’envahissant bienfaiteur du couple) sont eux aussi remarquables dans leur rôle. C’est un film accompli que nous offre Joachim Lafosse, une oeuvre splendidement maîtrisée dont la mise en scène se coule, presqu’invisible, dans la fluide évidence d’un spectacle certes nécessairement perturbant, mais qui se suit comme on suivrait un thriller hitchcockien. Sur un sujet ô combien difficile, un film éminemment accessible, et dont l’émotion, les questionnements, nous poursuivent bien au-delà du générique de fin.

L.D.

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