Critique

À la télé ce mardi soir: Searching for Sugar Man

Sixto Rodriguez © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Diffusé sur la Trois, le docu oscarisé Searching for Sugar Man raconte l’histoire du songwriter Sixto Rodriguez. Un ouvrier de la construction à Detroit devenu sans le savoir le symbole de la lutte anti-apartheid.

Il y a les destins dont on fait les légendes et les légendes dont on fait les destins. La vie incroyable de Sixto Rodriguez, Malik Bendjelloul en a bâti un film. Et ce film, Rodriguez l’a vu changer sa vie. Celle, couronnée de succès, qu’il aurait méritée il y a pratiquement un demi-siècle maintenant. Mais celle aussi, infiniment plus triste, qui le voit aujourd’hui courir les salles de concerts, la tête à l’envers, le dos cassé et la voix fatiguée, pour des liasses de billets que des producteurs peu scrupuleux cherchent sans doute à ramasser.

Singer songwriter aux textes engagés et brillants, à la voix unique et à l’univers psychédélique, Sixto Rodriguez publie deux albums aux Etats-Unis à l’entame des années 70. Deux disques formidables, Cold Fact et Coming from Reality, alors totalement ignorés par le public et la critique. « En 1971, ce n’était pas comme aujourd’hui, la concurrence était rude, racontait-il, sans amertume, dans une loge des Ardentes il y a cinq ans après un concert boudé par le public. Carole King venait de sortir Tapestry, les Stones publiaient Sticky Fingers. Sans compter le Pearl de Janis Joplin et tous les autres que j’oublie. Tu ne savais pas y faire grand-chose. Juste te défendre du mieux que tu pouvais… »

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Incapable de s’ouvrir les portes du succès, le souriant Rodriguez reprend alors son boulot dans la construction à Detroit. Il bosse comme manoeuvre. Restaure des bâtiments. Nettoie des maisons. Accepte tous les boulots dont les autres ne veulent pas. Défenseur du peuple et des sans voix, il s’investit aussi un peu dans la politique. Participe à des manifestations pour les causes qui lui sont chères. Il se présente même aux élections communales.

Ce qu’il ne sait pas, c’est que par le plus grand des hasards son album Cold Fact a atterri à des milliers de kilomètres de Motor City et est devenu le symbole de la lutte anti-apartheid. Toute révolution a besoin de ses hymnes: en Afrique du Sud, ils figurent sur le premier album de Rodriguez. Le disque s’y serait vendu à environ 500.000 exemplaires. Rencontrant alors plus de succès encore que les Beatles ou la bande à Jagger et Richards.

« Si mes chansons ont tant parlé au public sud-africain, c’est je pense de par leur implication sociale… L’Afrique du Sud a connu les mêmes problèmes que les Etats-Unis. À l’époque, exactement comme aux USA, le pays était en proie à des émeutes. Les gens ne voulaient qu’une seule chose: le changement. »

Un changement qu’incarnent notamment les paroles de son Establishment Blues. « Je me suis réveillé ce matin avec une douleur à la tête. J’avais dégueulé sur mes vêtements, j’étais tombé du lit. J’ai ouvert la fenêtre pour écouter les nouvelles. Mais tout ce que j’entendais, c’était la complainte du pouvoir (…). Le maire cache le taux de criminalité. Le conseil des femmes tergiverse. Le peuple est furieux mais oublie de voter. (…) Ce système tombera quand même bientôt grâce à la révolte de la jeunesse. »

Limousines, plateaux télé et guichets fermés…

En Afrique du Sud, dans les années 80 et 90, les rumeurs les plus folles courent au sujet de celui qu’on considère aujourd’hui comme un Bob Dylan aux origines mexicaines. Rodriguez serait pour les uns mort d’une overdose. Pour les autres, il aurait quitté ce monde en s’immolant sur scène… Après qu’un journaliste découvre qu’il n’en est rien et que l’une des filles de Sixto constate (en… 1997) la notoriété de son paternel au pays de Mandela, Rodriguez y sera accueilli en héros. « Il faisait du sale boulot entre huit et dix heures par jour mais habillé d’un costume », raconte l’un de ses collègues dans le film de Malik Bendjelloul, tout étonné de le voir débarquer un jour avec sa tête sur une bouteille de lait, lui annoncer qu’il partait le lendemain en tournée à l’autre bout du monde.

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Limousines à l’aéroport, concerts à guichets fermés, plateaux de télé et interminables acclamations… La réception est en parfait décalage avec la nature modeste de Sugarman (surnom que lui a valu l’une de ses plus belles chansons, consacrée à un vendeur de rêves). Un homme simple et discret qui dort sur le canapé de sa chambre et pas dans son lit pour éviter que quelqu’un ait à le refaire le lendemain matin…

Habilement mené, quelque part entre le portrait et l’enquête journalistique ou policière, Searching For Sugar Man, dont certains plans ont été captés à l’iPhone, raconte beaucoup Rodriguez et un peu la vie en Afrique du Sud. Le quotidien au temps de l’apartheid et une obscure histoire d’arnaque et d’abus de confiance dans laquelle certains, comme Clarence Avant, créateur de Sussex Records et ancien président de la Motown, semblent jouer un bien trouble jeu.

Comme si ça ne suffisait pas à la légende, le réalisateur dépressif de ce documentaire primé aux Oscars, Malik Bendjelloul, né d’un père algérien et d’une mère suédoise dans la petite ville d’Ystad, s’est suicidé en mai dernier à l’âge de 36 ans.

  • SEARCHING FOR SUGAR MAN, DOCUMENTAIRE DE MALIK BENDJELLOUL, 2012.
  • Ce mardi 24 février à 21h05 sur La Trois.

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