11 septembre: putain, 10 ans!

Les attentats du 11 septembre ont laissé des traces dans la production artistique. Musique, cinéma, séries télé, littérature, arts plastiques, BD… inventaire d’une décennie sous haute tension.

Comment digérer en images, en sons, en mots un événement qui représente une sorte d’absolu visuel? Comment en parler? Comment l’évoquer sans le trahir ou sans se laisser immédiatement submerger par le rouleau-compresseur émotionnel des images? Il a fallu du temps aux artistes, américains en particulier, pour arriver à regarder en face le 11 septembre. Le temps sans doute de retrouver -un peu- ses esprits après un solide traumatisme crânien. Le temps aussi de prendre la mesure d’un scénario qui dépassait la fiction. On se souvient que l’un des premiers écrivains à se replonger, en 2003 seulement, dans l’enfer des 2 tours était un Français. En l’occurrence Frédéric Beigbeder avec un roman vertigineux, Windows on the world. Mais si les allusions directes à ce qui s’est passé ce jour-là sont restées au final assez peu nombreuses (une poignée de films, quelques pages de romans…), le fond de l’air artistique ne s’en est pas moins sensiblement refroidi. Dans les séries télé comme dans les films ou les oeuvres plastiques, un voile paranoïaque et anxiogène a subitement recouvert ce qui restait encore d’insouciance. Il y a donc bien un avant et un après 11 septembre dans le champ culturel, reflet d’un passage de témoin douloureux et violent d’une époque à une autre. Avec des effets collatéraux divers et nombreux. Dont les artistes enregistrent les moindres oscillations. En remontant le temps avec cette grille de lecture en tête, on retrouve alors l’empreinte du 11-9 à tous les étages artistiques. L’onde de choc n’en finit pas de se propager…

L.R.

MUSIQUE

Sur les cendres du WTC, des dizaines de chansons, presque un genre en soi. Du défouloir (les bravades patriotiques de certains chanteurs country) à la thérapie de groupe (The Rising de Springsteen).

Mais en pleine paranoïa terroriste, ce sont bien les White Stripes qui cartonnent. Seven Nation Army, tube indé des années 2000, au moment où Saddam se fait dégommer par les troupes alliées. Le rouge et le noir de Jack et Meg White aussi pour renvoyer inconsciemment au binaire de l’époque, les bons contre les méchants, les cow-boys contre les Indiens. Ou encore l’Axe du mal, selon Bush, président républicain -le parti à l’Elephant, titre de l’album des WS sorti en 2003, pour dire…

Aujourd’hui, les White Stripes ont fermé boutique. Bush dégagé, Obama est à la Maison Blanche et Jay-Z rappe New York, Empire State of Mind à la Sinatra, presque comme si rien ne s’était passé. Un tube massif 10 ans après son album-clé, The Blueprint, chef-d’oeuvre dont le piratage avait poussé la maison de disques à avancer sa sortie: le 11 septembre 2001…

L.H.

CINÉMA

Sur les (grands) écrans comme ailleurs, il y a eu un avant et un après 11 septembre 2001. Prompt à céder à la parano, comme à sortir la panoplie de l’héroïsme de ses boys, le cinéma américain a trouvé là une manne que l’on n’oserait qualifier de providentielle; à quoi il faut néanmoins apporter la nuance d’une diversité d’approches, judicieusement traduite par le film collectif 09/01/11, qui voyait 11 réalisateurs d’horizons différents livrer, en 11 segments de 11’09 » et une image, leur perception des événements -un spectre allant de Claude Lelouch à Shohei Imamura, en passant par Sean Penn et autre Youssef Chahine.

Au-delà, et même s’il y eut des films pour s’en inspirer directement, comme le United 93 de Paul Greengrass ou le World Trade Center d’Oliver Stone, on parlera surtout d’imprégnation diffuse, celle qui habite aussi bien le 25th Hour de Spike Lee que le Spider-Man de Sam Raimi, sans même parler de l’estomaquant Bug de William Friedkin -il fallait assurément un cinéaste paranoïaque pour proposer une représentation aussi saisissante du climat qui s’imposa dans la foulée aux USA. Sans surprise, l’autorité vacillante de l’empire américain assortie à la teneur anxiogène de l’époque a par ailleurs généré son lot de films catastrophes, et autres projections (post-)apocalyptiques -voir I’m Legend et son New York déserté, ou encore The Road, mais aussi les innombrables déclinaisons d’une fin du monde que le cinéma pop-corn envisage en mode pyrotechnique. Quant aux errements de l’administration Bush à la suite des attentats, et l’engagement conséquent des Etats-Unis en Irak, ils ont sonné le réveil d’un cinéma politique dans la veine de la production des années 70 -de Syriana à The Green Zone en passant par les pamphlétaires Fahrenheit 9/11 et autre W; jusqu’au film de guerre qui y a trouvé de nouvelles expressions -voir le Redacted de Brian De Palma, ou le discutable The Hurt Locker de Kathryn Bigelow.

Dommage collatéral: l’incertitude de l’époque a aussi rejailli sur des studios américains plus frileux que jamais, et balançant les remakes et autres films de super-héros à tour de bras, comme si ces derniers y pouvaient quelque chose, n’en déplaise à… Spider-Man. Reste que l’impact des événements du 11 septembre sur la psyché de l’époque, c’est peut-être Christophe Honoré qui en a le mieux pris la mesure dans son bouleversant Les bien-aimés, comme s’il y avait eu là le glas de l’insouciance…

J.F. PL.

SÉRIES

Beaucoup de séries américaines ont été écrites en tout ou en partie en trempant leur plume dans le sang des victimes des attentats du 11 septembre 2001. Comme Rescue Me, (explicitement sous-titré en français Les Héros du 11 septembre), chronique du quotidien d’une caserne de pompiers new-yorkaise qui doit composer avec les séquelles des attaques. Ou comme le remake 2009 du Prisonnier, sur lequel planait le spectre des 2 tours, lesquelles sont encore solidement installées dans la réalité parallèle explorée par Fringe.

Mais la série la plus emblématique de l’électrochoc d’il y a 10 ans reste 24 heures chrono. Hasard du calendrier: elle devait démarrer quelques jours après les funestes événements de 2001 -la Fox a attendu début novembre pour la lancer sur orbite. Ce récit haletant en temps réel de la lutte d’un agent antiterroriste contre les menaces qui pèsent sur la nation sera rapidement considéré comme le bras télévisé du Patriot Act américain. Paranoïaque, légitimant l’usage des moyens les moins recommandables pour parvenir à ses fins, le feuilleton aura duré 9 ans. Et suscité beaucoup de critiques quant à son sous-texte. Il modifiera d’ailleurs certaines de ses options scénaristiques pour rester fréquentable: son héros Jack Bauer y deviendra de plus en plus tourmenté par ses actions passées, ses méthodes seront décriées par ses pairs, et les hautes autorités américaines fictionnelles prendront de mauvaises décisions, quand elle ne se vautreront pas radicalement dans la corruption. L’Amérique de l’après 11 septembre s’était choisie Jack Bauer comme symbole: il évoluera avec elle, et connaîtra les mêmes doutes et les mêmes regrets une fois passée une période où seule la force était considérée comme légitime pour rendre aux USA leur fierté et leur sérénité.

Ceci expliquant cela, au moins partiellement? Plus Bauer se montrera faible, plus les audiences de ses aventures le seront aussi.

MY. L.

LITTÉRATURE

Au lendemain de l’attentat, Norman Mailer prédisait qu’il faudrait 10 ans pour que la littérature vienne remuer la poussière à peine retombée du WTC. Imaginaire dynamité, fiction rendue suspecte, les auteurs new-yorkais ont longtemps délaissé le roman pour le reportage, le temps, sans doute, que le 11/09 quitte l’actualité brûlante pour entrer dans le flou artistique… Ce n’est qu’après 5 ans de silence et à la suite du désinhibant coup d’envoi de Fréderic Beigbeder (Windows on the world) que les écrivains US commencèrent à se réapproprier l’événement le plus traumatique de leur histoire, venu cristalliser avec une puissance inimaginable jusque-là des motifs rongeant déjà le quotidien de leurs écrits: liquidation des vides existentiels, charge anti-américaine, immigration et exploration d’une paranoïa diffuse en tête. La Belle vie de McInerney, Les enfants de l’empereur de Claire Messud, Extrêmement fort et incroyablement près de Safran Foer, Netherland de Joseph O’Neill, Terroriste d’Updike en seront les marquantes premières livraisons… Comme l’écrivait récemment Don DeLillo, auteur d’une magnifique plongée post-apocalyptique avec L’homme qui tombe: « Il y a quelque chose de vide dans le ciel. L’écrivain tente de donner mémoire, sens et tendresse à tout cet espace hurlant. » Une histoire qui est encore loin de son point final…

Y.P.

ARTS PLASTIQUES

Ce n’est rien de moins qu’une véritable thèse qu’il faudrait consacrer à la question des répercussions du 9/11 dans l’art contemporain. Une thèse pour laquelle il faudrait avoir davantage de recul. Tout le monde a en mémoire la sortie provoc de Damien Hirst qui en 2002 affirmait que les attaques contre les tours jumelles étaient en elles-mêmes une oeuvre d’art augurant de la production à venir du nouveau millénaire, à la façon d’un gigantesque ready-made apocalyptique. Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et l’on a pu souligner à droite et à gauche la pénétration de motifs terroristes dans la production artistique. Ainsi d’Antoine Bouillot et de son YSL, une céramique présentant un sac de boutique de luxe bourré de dynamite. Le tout pour un joli retour de revers à l’expéditeur -la société de consommation. On pense aussi au peintre soudanais Hassan Mussa, l’un des rares a avoir représenté Ben Laden dans son tableau Great American Nude. Là aussi, le discours prend des allures analytiques. En conférant au commanditaire présumé de l’attentat contre le WTC le rôle d’icône détachée sur fond de drapeau américain, Mussa ne dit rien d’autre que ceci: ce sont les States qui ont fabriqué le monstre.

M.V.

BD

Le 11 septembre 2001, à 2 pas d’un WTC dévasté, Art Spiegelman reste « chancelant sur cette ligne de faille où l’histoire du monde et l’histoire personnelle se téléscopent »… Il en tire A l’Ombre des Tours Mortes, sans doute le plus emblématique des albums conséquents à un drame qui a par ailleurs directement inspiré bon nombre de titres dans les genres les plus divers: autobio (Le 11e jour de Sandrine Revel, Mardi 11 septembre de Henrik Rehr), thriller (la série 9/11 aux éditions 12bis), comics (Spider-Man n°32), humour (Bush et Ben, copains comme cochons chez Paquet)… Mais les funestes événements ont aussi redessiné le visage de la production BD de manière plus diffuse. Puisqu’avec le 11 septembre, la réalité dépasse, et de quelle fulgurante façon, la fiction, elle la nourrit dans la foulée plus que jamais. Il suffit de voir, pour s’en convaincre, la masse d’albums en phase directe avec l’actualité ayant émergé ces dernières années dans les bacs. Jusqu’à, on n’y coupe pas, ce 12 septembre, l’Amérique d’après sorti tout récemment (Casterman), ouvrage collectif prenant le pouls de l’Amérique de demain au regard de la tragédie d’hier.

N.C.

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