Tom Gauld, Editions 2024
La revanche des bibliothécaires
180 pages
Ses strips font le bonheur du Guardian, du Scientist et des réseaux sociaux. L’Écossais Tom Gauld sort en français une nouvelle compilation, cadeau parfait pour livrophages.
“On les croyait vaincus, mais on les avait seulement repoussés sous terre. Puis un jour, les bibliothécaires revinrent… Dotés de compétences organisationnelles supérieures, ils s’emparèrent rapidement du pouvoir. Chaque bâtiment devint une bibliothèque. Chaque mur, une étagère. Chaque passeport, une carte d’abonnement. Le monde entier fut structuré sur le système de classification décimale Dewey. On n’aurait jamais dû déconner avec les bibliothécaires…” Ainsi commence La Revanche des bibliothécaires, par un strip fin, élégant, porteur de dessin et de verbe, et surtout, encore plus drôle car ponctué d’un “chut!” bien de circonstance et qui met, avec le titre, tout de suite dans l’ambiance de cette dernière compilation en date de Tom Gauld et des 150 autres strips qui suivront. Cette Revanche sera cette fois essentiellement consacrée aux book lovers invétérés, qu’ils soient lecteurs, libraires ou bibliothécaires. “La plupart de mes lectures d’enfant viennent de là, des bibliothèques locales, des librairies, que mes parents fréquentaient beaucoup, nous a expliqué, depuis son atelier londonien, l’auteur encore jeune d’un des livres les plus drôles de l’année. En cherchant un titre et le fil rouge de ces strips réalisés ces cinq dernières années, j’ai choisi d’ouvrir l’ensemble avec ce gag-là. ça m’a amusé d’imaginer qu’ils prenaient leur revanche dans un monde très ingrat avec eux.” Une revanche savoureuse, dont le ton, le format et l’esprit “very british” ont déjà fait de Tom Gauld une star très partagée sur les réseaux et immédiatement reconnaissable, que ce soit dans ses thématiques, toujours orientées littérature ou science, ou son humour “qui ne te hurle pas que c’est de l’humour”.
L’air sérieux, alors que non
Chaque semaine depuis presque 20 ans, Tom Gauld publie un strip dans les pages littéraires du quotidien The Guardian et, depuis bientôt dix, un autre strip hebdomadaire dans les pages de la revue The Scientist -mais c’est une autre histoire et une autre compilation, Le Département des théories fumeuses, publiée il y a deux ans en français chez l’excellent 2024, mais aussi dans Focus Vif. “Quand j’ai commencé, le strip du Guardian était assuré par Posy Simmonds, qui est ici une sorte de trésor national. Elle prenait un break de huit semaines pour travailler sur un de ses romans graphiques, et on a fait appel à moi alors que je faisais, moi, des petits fanzines! Mais c’est comme ça que j’ai appris l’art du cartoon: sur le tas.” Un tas qui correspondait heureusement à ses propres aspirations, tournées à la fois vers le format court -Tom Gauld a créé sa maison de micro-édition Cabanon Press dès sa sortie du Royal College of Art de Londres pour y publier entre autres des “very small comics” -et un goût évident pour les livres, les auteurs et la littérature. Une matière brute a priori peu poilante, “comme le sont par ailleurs les pages du Guardian ou même des outils graphiques comme les schémas ou les diagrammes que j’aime utiliser, qui ne sont pas supposés être marrants! Mais justement, j’adore ce jeu d’avoir l’air très sérieux et posé, alors que non. C’est peut-être ça, ce côté “british” qu’on me renvoie souvent.”
Tom Gauld revendique pourtant d’autres racines, plus américaines, pour expliquer sa grammaire et sa petite musique si particulière: “Je ne sais pas vraiment mettre le doigt dessus, mais j’ai toujours aimé Gary Larson, Edward Gorey et beaucoup de cartoonistes du New Yorker comme Roz Chast, Edward Steed ou Liana Finck (panthéon de cartoonistes que Tom Gauld a rejoint là aussi depuis quelques années en intégrant les pages de l’hebdomadaire new-yorkais, NDLR). Un mélange de sérieux et d’idiotie que j’affectionne et que j’essaie d’exprimer dans mes petites histoires.”
Les petites histoires de Tom Gauld, dans lesquelles les libraires sont des contrebandiers, où les classiques ne cessent d’être revisités à l’aune de l’air du temps qui change vite, où le Godot de Beckett assiste à des réunions Zoom, où les éditeurs alchimistes cherchent l’algorithme miracle pour générer des best-sellers à la chaîne, où les poètes forment des gangs et où les stratégies de gestion se concentrent sur les PAL (ou “piles à lire”), connaissent en tout cas déjà un succès numérique remarquable, rassurant pour l’auteur: “Il y a dans ce livre beaucoup de strips très autobiographiques, comme lorsque j’évoque mon rapport parfois compulsif au livre ou ma routine de lecture à l’heure du coucher”, à savoir “Se mettre au lit. Prendre le livre sur la table de chevet. Ouvrir la page marquée et le placer sur ses genoux. Attraper le téléphone et parcourir les réseaux sociaux pendant 45 minutes. Replacer le signet et s’endormir.” “Mais la masse de partages prouve qu’il y a une certaine universalité chez tous les “book lovers”. Quand je vois quelqu’un qui partage mon strip en ajoutant, “c’est tout moi!”, ça me rassure: je ne ne suis pas un complet weirdo, ce que je raconte a du sens pour d’autres!”
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