Y a-t-il une vie après Game of Thrones? Réponse avec Sophie Turner/Sansa Stark
Durant huit ans, la jeune Sophie Turner a prêté ses traits à la très résiliente Sansa Stark dans Game of Thrones, personnage-clé s’il en est de l’ultime saison d’une saga-monstre aujourd’hui coffrée dans son intégralité en DVD/Blu-ray. Rencontre.
Le succès, et après? Pendant près d’une décennie, le noyau dur du casting de la série Game of Thrones a enquillé les épisodes sans guère de temps mort, et avec l’attention croissante que l’on sait. Aujourd’hui, l’aventure est finie, et nombre de ses comédiens se retrouvent à un tournant pour le moins incertain de leur parcours. Si c’est moins vrai s’agissant d’une actrice plus confirmée comme Carice van Houten (lire son interview), par exemple, c’est bien le cas de Sophie Turner. Jeune Anglaise à peine âgée de quinze ans au moment de la mise en branle de la saga en 2011, cette dernière a campé huit saisons durant le personnage emblématique de Sansa Stark, symbole de l’innocence spoliée qui n’a cessé de s’endurcir et de s’affirmer au fil du temps. De glace (ce visage d’albâtre) et de feu (cette crinière fauve), son apparence semblait y faire écho à l’intitulé même du cycle de romans signés George R. R. Martin qui a servi d’inspiration à Game of Thrones: A Song of Ice and Fire.
À l’heure où l’intégralité de la saga se voit coffrée en DVD/Blu-ray (voir spécial cadeaux), elle est annoncée dans l’un des deux rôles principaux de Survive, future série de la nouvelle plateforme de streaming Quibi cornaquée par Jeffrey Katzenberg. Tandis que l’ami Boy George a déclaré qu’il la verrait bien l’incarner jeune dans un biopic en préparation sur le chanteur de Culture Club -après tout, pourquoi pas… Mais elle vient également de jouer dans un petit film indépendant complètement raté, Heavy de Jouri Smit, où ses qualités de comédienne, indéniables, sont largement moins questionnables que sa capacité à poser les bons choix. Quid pour la suite, donc?
En septembre dernier, elle était l’une des invitées d’honneur de la 45e édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville, où les 73 épisodes de Game of Thrones étaient tous projetés à la suite et dans l’ordre pour un marathon de huit jours qui aura fait dire à Turner, visiblement mi-amusée mi-effrayée par le concept: « Le vrai Game of Thrones, c’est peut-être ça. Le dernier encore vivant dans la salle à la fin de la semaine a gagné… » Interview plans de carrière.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette quasi-décennie passée à jouer le personnage de Sansa dans Game of Thrones?
J’ai le sentiment de n’avoir fait qu’évoluer durant toutes ces années. J’ai tout appris, à vrai dire, sur le plateau de cette saga. La série a été mon école d’art dramatique. J’y suis devenue une actrice, une adulte, une femme d’affaires, aussi, quelque part. C’est étrange, parce que je me suis toujours beaucoup identifiée aux leçons et aux valeurs que mon personnage intègre lui-même au fil de la saga: cette patience, cette force, un certain esprit de résilience… Sansa est, quelque part, ma plus grande inspiration dans ma vie de tous les jours. J’aimerais pouvoir lui ressembler davantage.
Comment avez-vous vécu les réactions très passionnées des fans par rapport à cette ultime saison du show?
Je me souviens du moment où nous avons tous reçu le scénario des épisodes finaux. C’était vraiment très particulier. Durant ces derniers mois de tournage, je passais constamment par des états assez contradictoires, partagée que j’étais entre une certaine tristesse de voir l’histoire toucher à sa fin et une réelle excitation à l’idée de mettre un point final à ce gigantesque chantier. S’agissant des réactions des fans, je ne devrais peut-être pas dire ça, mais il se trouve que je n’ai pas encore regardé les épisodes de la dernière saison, donc je suis peut-être mal placée pour juger (sourire). Plus sérieusement: livrer une fin satisfaisante sur tous les plans après autant d’années est toujours un exercice délicat. Et cette dernière saison a représenté un travail colossal, créativement parlant. J’ai beaucoup de respect pour ça.
Comment envisagez-vous aujourd’hui la prochaine étape de votre carrière? Vous arrive-t-il d’avoir peur que ce rôle vous colle à la peau au point de ne pas arriver à vous en défaire?
Bien sûr que je ressens ce genre de peur. Je suis hyper jeune, mais je me dis parfois que tout ce que les gens vont retenir de moi ce ne sera peut-être que Sansa Stark. Je me trouve clairement à un tournant. Soit je parviens à rebondir, soit je disparais des écrans. Il y a aussi quelque chose de terriblement effrayant à l’idée de m’entendre dire pour le restant de mes jours: « Ah oui, la nana de la série, là… » J’ai bien conscience que je dois continuer à jouer, à apprendre et à progresser en toute humilité. Et peut-être me diversifier, également. J’ai fait quelques tentatives d’écriture récemment et, tout bien réfléchi, je crois que ce n’est vraiment pas mon truc (sourire). Par contre, j’aimerais beaucoup commencer à toucher à la production. Les choix que je vais faire dans les prochains mois en tant que comédienne vont être déterminants. Choisir les bons scripts, ceux qui vont me faire avancer, élargir ma palette…
En même temps, durant toutes ces années, vous n’aviez pas tout à fait que Game of Thrones. Vous avez aussi par exemple joué Jean Grey, alias Phoenix, dans deux épisodes cinématographiques de la saga X-Men…
Oui, mais ce chapitre-là s’est également refermé cette année. J’ai un peu l’impression d’avoir passé tout 2019 à dire au revoir à des choses, des gens et des rôles. C’était super bizarre, pour moi. Et en même temps assez libérateur. Dans ce sens où, jusqu’à aujourd’hui, je n’avais jamais eu à penser à mon futur de comédienne. Parce que les saisons et les films s’enchaînaient dans le même univers, et tout ce qu’on me demandait c’était de reprendre mon rôle à chaque fois. D’une certaine inquiétude naît aussi un réel enthousiasme, c’est tout un éventail de nouvelles possibilités qui s’ouvre en effet théoriquement devant moi aujourd’hui. Il faut pouvoir accepter, je pense, l’incertitude inhérente à la nature même de notre travail. Le jeu en vaut clairement la chandelle. J’adore jouer, aucun doute là-dessus.
Vous êtes sur les plateaux depuis l’âge de quinze ans à peine. Avez-vous parfois le sentiment d’être un peu passée à côté de votre adolescence?
Il est certain que je suis passée à côté de certaines choses et que je n’ai pas eu une adolescence tout à fait normale. Il y a toute une série de moments-clés que je n’ai pas pu partager avec mes amis, par exemple, comme l’entrée à l’université, ce genre de choses. Mais, d’un autre côté, toutes les expériences que j’ai ratées, je les ai gagnées sous une autre forme en étant comédienne, à la télévision et au cinéma. Honnêtement, si les choses étaient à refaire, je ne changerais rien. Je ne nourris aucune espèce de regret. Et puis, depuis la fin de la série, je rattrape le temps perdu, en quelque sorte. J’ai récemment repris des études, par exemple. Et en dehors des plateaux de tournage, mon existence est vraiment très ordinaire.
Quel genre d’études?
J’ai commencé à suivre des cours de criminologie. Ça peut sembler un peu rébarbatif au départ, parce qu’il faut se familiariser avec une terminologie très spécifique, mais c’est une matière qui m’a toujours beaucoup intéressée. Je vois ça aussi comme une manière d’assurer mes arrières. Si je me retrouve sans projet pendant une longue période, c’est une chose sur laquelle je pourrai toujours m’appuyer. Et puis, basiquement, c’est un domaine où la psychologie humaine est très importante. Ce qui en fait un outil supplémentaire dans la perspective de la préparation de mes rôles. D’une manière générale, j’ai l’impression que plus vous faites et vivez de choses dans votre quotidien, et plus ça nourrit et améliore votre travail de comédienne.
Est-ce qu’il y a eu des moments où la célébrité que vous a apportée Game of Thrones a pu être difficile à vivre?
Disons que le star system est quand même une chose vraiment très étrange. Je ne comprends pas bien cette tendance à vouloir constamment empiéter sur votre sphère privée, par exemple. Mais, en un sens, j’ai eu de la chance de n’être encore qu’une jeune adolescente au moment où j’ai commencé à jouer dans Game of Thrones. Je n’étais pas celle qui attirait le plus les regards. Et puis la série a gagné en popularité au fil des années, et j’ai eu le temps de m’habituer à tous ces à-côtés progressivement, sans être dans l’oeil du cyclone. Aujourd’hui, les choses ont changé. Mais pour combien de temps? Être sous le feu des projecteurs vous donne souvent le sentiment de ne pas avoir droit à l’erreur. Or, je pense que ce sont bien souvent vos erreurs qui vous font avancer. Si vous vivez constamment dans la peur de ce que les gens vont penser de vous, c’est un peu le début de la fin. Il faut continuer à choisir ses rôles en fonction de ce que vous pensez être bon pour vous. C’est très important, je crois. Il faut toujours y aller à la motivation et à l’instinct.
Vous ressentez toujours la même excitation qu’à vos débuts?
Il me semble que j’en profite davantage aujourd’hui qu’auparavant, que je réalise mieux la chance que j’ai de vivre du métier d’actrice. Quand j’ai commencé à jouer dans Game of Thrones, je ne préparais rien. Je venais sur le plateau telle que j’étais et je me montrais simplement attentive aux consignes que l’on me donnait. Aujourd’hui, je prends beaucoup de plaisir à préparer et penser mes rôles. Il y a beaucoup plus de réflexion et de recherche en amont. Ça me semble plus riche.
Est-ce que vous vous définiriez comme cinéphile?
Disons que c’est un processus en cours (sourire). C’est-à-dire que je suis vraiment en train de m’intéresser et de découvrir les grands films de l’Histoire du 7e art aujourd’hui. Quand j’ai fait mes premiers pas dans l’industrie de la télévision et du cinéma, je n’y connaissais strictement rien, pour être honnête. Ça fait quatre ou cinq ans, maintenant, que j’ai vraiment commencé à regarder un maximum de choses, de manière très geek. Je ne peux pas encore dire si j’ai un genre ou une époque de prédilection, mais je sens que les choses s’affinent petit à petit. Si je devais citer mon film préféré, je dirais que True Romance de Tony Scott, écrit par Tarantino, se situe définitivement en bonne place.
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