Le trouble jeu de Carice van Houten dans Instinct

"J'ai le sentiment qu'aujourd'hui, le but des comédiens à Hollywood est trop souvent de devenir un personnage Marvel. Non?" © Kris Dewitte
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

L’actrice hollandaise Carice van Houten impressionne en thérapeute qui développe une obsession malsaine pour un de ses patients, violeur en série, dans le très inconfortable Instinct. Rencontre.

À sa main gauche, une bague assez bling-bling qui affiche son prénom en lettres capitales: CARICE. « Je suis tombée dessus dans un ghetto à New York. Je vois ça comme une espèce de blague méta. Si je vous mets mon poing dans la figure, vous aurez mon nom imprimé sur le visage. » Révélée à l’international par le Black Book de Paul Verhoeven en 2006, avant notamment de donner la réplique à Tom Cruise dans le Valkyrie de Bryan Singer, Carice van Houten doit désormais avant tout sa popularité au personnage de Melisandre, la prêtresse rouge dans Game of Thrones, qu’elle a campé de la deuxième à la huitième saison du show HBO. Aujourd’hui, elle renoue avec ses racines bataves en endossant l’un des deux rôles principaux du premier film en tant que réalisatrice de sa grande amie actrice Halina Reijn, candidat hollandais pour les prochains Oscars.

Dans Instinct, van Houten incarne une psychologue expérimentée, Nicoline, qui débute un nouveau travail dans un environnement carcéral. Elle y fait la connaissance d’Idris (Marwan Kenzari, le Jafar du dernier Aladdin de Disney), délinquant sexuel adepte de la séduction et de la manipulation. Commence alors entre eux un jeu très tordu du chat et de la souris, où la thérapeute semble perdre de plus en plus pied à mesure qu’elle se laisse gagner par le trouble. Face-à-face pervers à l’inconfort latent, Instinct pose la question des limites que l’on choisit de se fixer ou pas. Un film éminemment casse-gueule, donc, mais qui évite très intelligemment le double écueil de l’esthétisation aseptisée et du pensum psychologisant, préférant à raison oser aller frontalement jusqu’au bout de son malaise.

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Incertain regard

Avec son visage grave et allongé à la Modigliani, Carice van Houten excelle dans le registre de l’ambiguïté. Triste, lointain, son regard ouvre sur un insondable abîme, particulièrement dans ces instants suspendus où les mots s’effacent pour laisser place au langage du corps. Elle confesse volontiers elle-même aimer particulièrement jouer des scènes où il n’y a pas de dialogues, préférence qu’elle fait remonter à une enfance passée à regarder des films muets en compagnie de son père, Theodore van Houten, écrivain, critique, musicologue et historien du cinéma. « On regardait beaucoup de vieux films burlesques à la maison. J’étais raide dingue de ceux de Laurel et Hardy, par exemple. Et j’accompagnais souvent mon père quand il présentait des films de Charlie Chaplin dans de grandes salles avec orchestre. Il racontait des anecdotes sur les coulisses des oeuvres et sur cet immense cinéaste qui le passionnait par-dessus tout. Il ne faut pas aller chercher ailleurs mon amour de la musique et du cinéma. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu envie de faire ce que je fais aujourd’hui. Je n’ai même jamais ne fût-ce que pensé à faire autre chose. Je me rappelle par exemple du jour où j’ai découvert Annie, cette comédie musicale de John Huston sur une petite orpheline. Quelque chose s’est allumé en moi. Immédiatement, je me suis dit: c’est ça que je veux faire. Je veux jouer, je veux danser, je veux chanter… »

Et c’est, en effet, ce que Carice van Houten a toujours fait. Pas seulement jouer à la télévision, au cinéma et sur les planches, où elle a fait ses premiers pas dès le début des années 90, sous la direction de Hugo Claus. Mais aussi danser et chanter. En 2012, cette inconditionnelle de Kate Bush et Rufus Wainwright a d’ailleurs sorti un premier album sous son propre nom, See You On The Ice. « Écouter ou faire de la musique reste ma plus grande joie au monde. Il n’y a rien qui puisse me rendre plus heureuse. Je viens tout juste de me mettre à la guitare. J’en ai mal aux doigts à force de pratiquer mais je manque vraiment de temps pour enregistrer quelque chose ou même monter sur scène en ce moment. »

Son dernier film en date? Domino, un thriller musclé signé -excusez du peu…- Brian De Palma, où elle joue notamment aux côtés de son compagnon, l’acteur australien Guy Pearce (L.A. Confidential, Memento). Dézingué par la critique outre-Atlantique, l’objet, essentiellement produit au Danemark, ne trouvera sans doute hélas jamais le chemin des salles chez nous. « C’est un film très européen dans l’esprit, mais avec un immense cinéaste américain aux commandes. Je dois dire que je reste moi-même très européenne dans l’âme. L’idée d’aller un jour m’installer à Hollywood me semble tout simplement inconcevable. Je me sens toujours un peu aliénée, d’une certaine façon, quand je suis aux États-Unis. La majeure partie de ma carrière s’est d’ailleurs construite en Europe. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, le but ultime des comédiens à Hollywood est quand même trop souvent de devenir un personnage Marvel. Non? Il y a de quoi s’inquiéter, me semble-t-il, quant à l’avenir du cinéma indépendant américain, que j’affectionne, pour le coup, vraiment beaucoup. »

Instinct. De Halina Reijn. Avec Carice van Houten, Marwan Kenzari, Pieter Embrechts. 1h48. Sortie: 11/12. ***(*)

Le trouble jeu de Carice van Houten dans Instinct
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