The OA, « une série qui perturbe énormément, qui prend soin de ne pas donner de réponse »
Brit Marling et Zal Batmanglij versent de nouvelles pièces au dossier The OA, dont la très attendue deuxième saison a été inaugurée au festival Séries Mania. Toujours intrigante, elle propose un puzzle d’une densité et d’une maîtrise narratives impressionnantes.
Plus de deux années d’absence et, comme pour la première saison, une apparition surprise sur les scopes. Au même moment où démarrait la nouvelle édition de Séries Mania, qui projetait ses deux premiers épisodes dans la section « Nouvelles saisons inédites », l’ensemble du deuxième volet de The OA était mis en ligne sur la plateforme de téléchargement Netflix. Et ça déménage.
En 2016, Brit Marling et Zal Batmanglij ont inauguré une série qui avait tout d’imprévisible. Depuis son lancement sans tambour ni trompette, jusqu’à son succès contagieux. Son format (la durée très variable de ses épisodes), ses thématiques et son traitement en ont fait d’emblée une série audacieuse et singulière. Sa critique froide du scientisme égotique, sa kitscherie mystique assumée, ses incongruences et son émotivité à fleur de peau rendaient parfois difficile d’accès le récit ambitieux qu’elle portait et qui s’ouvrait à la manière des poupées russes. Il n’est dès lors pas simple de tenter de résumer ou rendre un récit qui, de l’aveu même de ses créateurs, « cherche à donner corps à l’indicible« . Pourtant, d’une saison à l’autre, l’histoire est devenue plus accessible, plus étoffée aussi. Et de ses failles béantes qui prêtaient le flanc à la moquerie, si elle ne se distancie pas toujours, elle réussit à faire des atouts en distillant sa propre autocritique, notamment dans la bouche de plusieurs de ses personnages. D’autre part, et sans attendre, la première heure de la nouvelle saison répond aux questions laissées en suspens dans le cliffhanger qui clôturait la saison inaugurale: Prairie Johnson, qui se fait appeler « The OA », est emmenée dans l’ambulance, grièvement blessée lors d’une fusillade dans un lycée. Au même moment, Nina, une riche héritière russe qui a les mêmes traits, s’écroule sur le pont d’un ferry au large de San Francisco, victime d’une attaque cardiaque.
Forêt de symboles
On le comprend très rapidement et aisément, les deux personnages sont des incarnations de la même personne: OA/Prairie/Nina ont une enfance commune, celle d’une petite fille russe aveugle émigrée aux USA puis enlevée durant son adolescence. Mais leurs chemins se sont séparés, emportés dans des dimensions parallèles. Dans la première d’entre elles, les disciples que OA a précédemment réunis autour d’elle, quatre jeunes écoliers et une veuve, cherchent à la retrouver. Dans la nouvelle, OA/Nina est toujours aux prises avec les méfaits du savant fou Hap (Jason Isaacs), retrouve son Homer chéri (Emory Cohen) qui semble avoir tout oublié, mais bénéficie de l’aide d’un détective privé zélé, Karim (le charismatique Kingsley Ben-Adir), parti sur les traces de Michelle, une adolescente disparue (mais au visage familier). Sur leur route, un énigmatique jeu vidéo interactif, un hôpital psychiatrique peuplé de vieilles connaissances, une scientifique tétraplégique, un amoureux amnésique, des créatures étranges et des personnages qui tentent de retrouver leur chemin dans ce labyrinthe sensoriel et cette forêt de symboles.
Les créateurs de The OA affirment que les deux premières saisons forment un tout cohérent avec les trois suivantes, d’ores et déjà confirmées. Et de fait, dans le monde en apparence impondérable de Brit Marling et Zal Batmanglij, les détails cruciaux, les plans contemplatifs (comme cette vue orbitale de la Terre au début du premier épisode) prennent sens dans la suite du récit, refermant des boucles narratives par touches impressionnistes qui se gardent bien de délivrer trop vite une vue d’ensemble.
Mignonne, allons voir si la rose…
Au coeur de cette architecture qui questionne le réel et le mystère, le visible et l’invisible, une maison: dédale de sens, borne ancestrale et multidimensionnelle surmontée d’une rosace. Utilisée depuis le gothique médiéval comme symbole de l’unité et de l’harmonie cosmiques, la « rose window » évoque la vie cyclique, le renouvellement et le recommencement, et sert naturellement, dans l’univers de Marling and Co, de portique entre les différentes dimensions. Ce motif (comme celui du monde floral et végétal) est convoqué sous plusieurs formes: lorsque le détective Karim pénètre dans la mystérieuse maison pour tenter de retrouver Michelle, l’ado disparue, il remarque à peine au-dessus de la couche de celle-ci une reproduction d’une oeuvre de Magritte, Le Tombeau des lutteurs, une énorme rose dans un intérieur. « C’est l’une des oeuvres de Magritte les plus claustrophobiques, un thème qui apparaît dans ses premiers tableaux surréalistes mais qu’il pousse à son paroxysme« , observe Julie Waseige, historienne de l’art et spécialiste du peintre belge invité surprise de The OA. « Magritte voulait plus que tout évoquer le mystère du monde et ce n’est pas si étonnant de le retrouver dans l’univers de The OA. C’est une série qui perturbe énormément, qui prend soin de ne pas donner de réponse tout en évoquant cette part de mystère si chère à Magritte. » Sans doute aurait-il été servi par la spectaculaire scène finale qui, brisant le quatrième mur et emportant dans le même et spectaculaire retournement les trois autres, semble vouloir nous dire « ceci n’est pas une série ». Et tout est alors à recommencer.
Escape game
Pour en arriver là, la deuxième saison de The OA a patiemment construit son puzzle, ses alternances entre les deux mondes parallèles où évoluent les différents protagonistes: le road trip des ados Steve, Buck, Jesse, French et de BBA pour tenter de retrouver la trace de The OA et poursuivre leur quête d’illumination, d’une part. Et d’autre part, l’enquête sous forme d’escape game que mènent Karim et Nina/Prairie pour retrouver les disparus, ramener Homer à la raison, confondre Hap et son usine à rêves financée par un obscur mogul, Pierre Ruskin, et trouver du sens, une issue à ce safari symboliste. Les deux récits ne bénéficient pas toujours d’un traitement équitable: la partie road trip verse le plus souvent dans les sentiments, les temps morts et l’abstraction, quand l’enquête fourmille d’éléments fantasmagoriques, de sursauts visuels majestueux et hypnotiques. Sur le grand écran du Festival Séries Mania, ils auront grandement marqué les esprits du public. Mais au-delà de ses effets indéniables, la nouvelle saison a franchi un palier dans sa description d’un univers interdimensionnel singulièrement complexe. Dans une production mondiale où abonde la notion de « multiverse » (Stranger Things, The Leftovers, Twin Peaks…), The OA se dore d’une mythologie globalisante qui imprègne les images mais aussi les mots, les noms des personnages. Cette spiritualité qui frappe aux portes de la perception, des sentiments et de la science-fiction s’affaire toujours plus à renverser nos perspectives, à nous extraire de nos certitudes, non pas pour nous faire sortir d’un réel devenu trop brutal, mais bien nous donner une vue d’ensemble des pouvoirs oppressants qui le traversent et des ressources pour s’en défaire.
The OA (saison 2), Une série Netflix créée par Brit Marling et Zal Batmanglij. Avec Brit Marling, Jason Isaacs, Emory Cohen.
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