The Franchise: gloire et déboires dans les coulisses d’un blockbuster qui tourne au fiasco

Sur le tournage d’un blockbuster, clairement inspiré par les productions Marvel. © HBO
Nicolas Bogaerts Journaliste

Raillant le tournage d’un film de super-héros qui vire à la catastrophe, The Franchise livre une réflexion sur les conditions de travail toxiques dans l’industrie. Séance de thérapie collective au cœur des Studio Warner.

Dans la banlieue nord-ouest de Londres, la petite ville de Watford abrite depuis 2000 le vaste complexe Warner Bros Studios Leavesden. Ancien champ d’aviation créé durant la bataille d’Angleterre, en 1940, ces nombreux et vastes hangars ont été investis dans les années 90 par la production d’un 007, le GoldenEye de Martin Campbell (1995). Quelques années plus tard, c’est déjà une franchise de poids qui y a installé ses quartiers: les huit films de la saga Harry Potter. Ses studios sont d’ailleurs une attraction monumentale du lieu. À quelques encablures à peine a été tournée, non sans l’ironie, The Franchise, satire efficace d’un tournage de blockbuster bancal. Dans les caravanes tout confort, abrités du bruit incessant des hangars où se prépare le tournage, Jon Brown, le showrunner, et les membres du casting commentent avec plaisir les mises en abyme et les déjà-vu qui ont émaillé cette expérience singulière.

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Chaînes de production

Se sont penchés sur les fonts baptismaux de The Franchise Sam Mendes (Skyfall, 1917) et Armando Iannucci, spécialiste de la satire avec sa très acide et politique Veep. Mais c’est le jeune et talentueux Jon Brown, propulsé showrunner, qui a porté l’écriture d’un projet dont il a fait une remarquable workplace comedy (« comédie de lieu de travail ») et dont les effets miroirs ont été constants sur toute l’équipe: « Aujourd’hui, dans l’entertainement, tout doit être non seulement quantifiable, mais surtout extensible et duplicable. C’est le principe de la franchise: l’imaginaire est circonscrit dans un cadre qui préexiste au film ou à la série. On en vient même à mettre en route des films sur une marque de petites voitures ou sur un jeu de société, en collaboration avec leurs éditeurs. C’est un processus qui est poussé de plus en plus, mais jusqu’à quel point? Et avec quelles conséquences sur la chaîne de production? Et surtout, qu’est-ce que ça nous dit de notre rapport à la culture et au travail? Et de nos métiers? » Il est d’ailleurs étrange de voir comment plus d’une douzaine de lieux des prestigieux studios ont été mis à disposition de cette nouvelle série HBO par sa maison mère Warner Bros, dans le but de martyriser un modèle dont elle est elle-même partie prenante. Studios, parkings, cantines, bureaux, couloirs: la totalité du lieu a été investie par souci de réalisme, afin de montrer jusqu’à l’intime comment le chaos s’immisce dans le tournage d’une superproduction… clairement inspirée du grand rival de la maison, Marvel.

© HBO

Mayonnaise

Dans cette sorte de fiction embedded et meta, les gags et les situations tour à tour comiques, absurdes ou désespérantes paraissent directement influencés par des récits authentiques sur les manières de faire monter ou de rater la mayonnaise. « En lisant le scénario, et plus encore durant les lectures communes et puis le tournage, on reconnaissait chacun des situations déjà vécues ou entendues », sourit Himesh Patel, bien plus tranquille dans le studio de maquillage où il se défait de l’anxiété du premier assistant qu’il incarne, sur un set en plein marasme. « Voir les acteurs et les actrices, les réalisateurs et leurs assistants recevant sur un plateau un reflet cinglant des vanités et des ego trips, c’est une chose, sourit Daniel Brühl, mais pouvoir rassembler les pièces du puzzle d’un système hyper hierarchisé, qui accentue cette réalité, c’est assez unique. » L’acteur allemand, désormais sociétaire du Marvel Cinematic Universe depuis son apparition en Baron Zemo (Captain America: Civil War), incarne dans The Franchise un réalisateur européen primé, arraché par un grand studio au monde du cinéma d’auteur, complètement perdu et frustré dans un tournage où il peine à imposer sa griffe. « La manière avec laquelle Jon Brown a synthétisé cette tendance qu’a Hollywood d’aller chercher les réalisateurs pointus pour les fondre dans leurs projets, jusqu’à les rendre fous, est irrésistible de mon point de vue de Berlinois. »

© HBO

Préparation

Autre personnalité issue du monde des super-héros, Aya Cash a été l’insupportable Stormfront dans The Boys. La voici en productrice catapultée sur un tournage dont elle doit assurer la « touche féministe » d’après les mots du boss du studio, Pat (Darren Goldstein, étonnant sosie de Kevin Feige): « En une seule scène, on voit à quel point le sexisme inhérent à beaucoup de projets n’est pas une question de personnes, mais de système, insiste-t-elle. Paradoxalement, on n’a pas vraiment répété pour nos scènes. Juste des lectures de table. C’était nouveau pour moi, mais les dialogues de Jon sont tellement fluides, évidents. Par contre, il nous a réservé des surprises sur le set. On ne savait rien de la sous-intrigue entre mon personnage et celui d’Himesh, une histoire ancienne qui s’est mal passée, car elle n’est jamais mentionnée dans le script. Nous avons découvert le tableau à mesure que nos dialogues et nos silences, une fois joués, révélaient des bribes du secret. C’est une idée géniale, car au final, ça a accentué à notre insu l’effet comique du non-dit. » La comédienne anglaise Lolly Adefope (Black Mirror) a eu le temps, elle, de s’immerger de longues semaines sur d’autres tournages en compagnie de ces troisièmes assistantes dont elle incarne à la perfection l’assiduité volontariste, dans un monde d’indifférence et d’ingratitude: « Ce sont des personnes dédiées, investies d’une certitude: leur tâche est absolument nécessaires à la réussite de l’ensemble. Je n’ai pas du forcer la dimension comique: il suffisait de montrer que mon personnage croit dur comme fer à sa capacité de résoudre la montagnes de problèmes qui s’amoncellent dans une organisation qui ne fait que l’ignorer. Si je dois retenir une chose de ce tournage, c’est qu’il fait voir à toutes et à tous la réalité triviale de l’usine à rêve. »

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