The Comey Rule, minisérie anti-Trump: « Cette histoire va rendre furieux les gens de gauche comme de droite »

Un tête-à-tête sur le délitement de l'état de droit.
Nicolas Bogaerts Journaliste

The Comey Rule raconte de l’intérieur les mois qui ont vu le récit originel de la démocratie à l’Américaine, celui de la loi et de son autorité suprême, se faire manger tout cru par un ogre. Un drame où excellent Jeff Daniels et Brendan Gleeson.

L’affaire dans laquelle s’est empêtré James Comey, directeur du FBI sous Obama et Trump, est peu connue. Ce Républicain discret et scrupuleux a rendu publique l’enquête visant Hillary Clinton, accusée d’avoir fait usage de sa boîte mail privée durant son mandat de secrétaire d’État. Enterrée quelques semaines plus tard, avant d’être relancée dix jours avant le scrutin, sa gestion est à l’origine d’un psychodrame national qui a contribué à jeter le trouble dans le pays et Donald Trump au poste de président. Mais alors que le même Comey avait dans sa manche -ou sur les bras- une seconde enquête sulfureuse concernant les liens entre l’équipe Trump et la Russie, et l’immixtion de celle-ci dans le déroulement de l’élection, il subit les premiers mois de la nouvelle administration avant de se faire congédier d’une manière peu cérémonieuse. À la veille d’une nouvelle échéance électorale, dans contexte politique encore plus tendu, le scénariste et producteur Billy Ray (Captain Phillips) revient sur ces événements cruciaux en adaptant pour le petit écran le livre-mémoire de James Comey, Mensonges et vérités (Flammarion, 2018). Thriller politique, téléfilm catastrophe, tragédie sur le délitement de l’État de droit, The Comey Rule est un peu tout cela. Avec, dans le rôle du directeur du FBI, un excellent Jeff Daniels (lire son interview), naïve proie coincée dans les filets du monstrueux Brendan Gleeson, impressionnant dans le rôle du 45e Président des États-Unis. Sa prestation n’a pas grand-chose du bouffon dont se repaissent les Late Shows, tant il rend également palpables sa matière noire et son humanité.

The Comey Rule, minisérie anti-Trump:
© Ben Mark Holzberg

Emprise narcissique

« Nous avons une meilleure visibilité sur ce qui s’est passé en 2016 et il fallait que cette histoire soit montrée au public américain avant l’échéance de 2020″, affirme Billy Ray depuis son bureau à Los Angeles. « Toute l’équipe avait l’espoir d’en faire une fiction pédagogique, de mener le public au coeur de lieux de pouvoir dont on ne voit que des bribes aux informations. » Il est vrai que durant ses deux épisodes qui passent en revue les événements de 2016 et les premiers mois de la présidence Trump jusqu’au renvoi de James Comey, le spectateur est plongé dans les arcanes du FBI et du pouvoir judiciaire. Si le premier volet est un rappel des décisions calamiteuses prises par James Comey malgré les avertissements de son équipe et sa famille, le second est sous le signe de la confrontation avec Donald Trump/Brendan Gleeson. Celui-ci inonde l’écran comme un requin blanc resté longtemps tapi dans ses eaux noires, au cours d’un dîner en tête à tête et hors-sol, durant lequel le nouveau président étale son emprise narcissique. Le début d’une série d’épiphanies pour Comey, qui va réaliser peu à peu, lors de réunions surréalistes et de coups de fil qui ne laissent aucun doute sur les errances égotiques de son Président, que les valeurs politiques sur lesquelles le pays et sa carrière se sont bâtis sont en train de s’écrouler.

The Comey Rule, minisérie anti-Trump:
© Ben Mark Holzberg

Où finit la loi

C’est là, précisément, que réside le coeur du drame conçu par Billy Ray: « À mesure que l’écriture avançait, il m’est apparu clairement que j’étais en face d’une véritable histoire d’amour entre un homme et une institution, ancrée dans cette autorité de la loi que nous, Américains, brandissons comme valeur de notre démocratie« . Heather Kadin, productrice exécutive, prolonge l’idée: « Jusqu’à présent, dans notre Histoire, la loi devait s’appliquer et si ce n’était pas le cas, il y avait toujours des répercussions. Ici, ceux qui ont bafoué la loi ont gagné, et c’est une tragédie à laquelle nous n’étions pas préparés. » The Comey Rule appuie donc là où ça fait mal et, dans sa seconde partie, nous entraîne dans le sillage d’une tristesse insondable, une histoire de perte, le deuil du récit fondateur de l’expérience américaine. Et tout l’appareil politique, judiciaire, administratif, incarné par une pléthore d’acteurs et actrices à couteaux tirés (Michael Kelly, Oona Chaplin, Holly Hunter, Peter Coyote, Steven Pasquale…), est sondé avec un implacable réalisme, dans ses petits arrangements, ses grandes illusions, son cynisme imperméable et ses héroïsmes étouffés, dans son impuissance à éviter le trou noir. Parmi eux, Rod Rosenstein (génial Scoot McNairy), procureur général adjoint des États-Unis nommé par Trump en 2017, a cette confession terrible après sa démission: « Là où finit la loi commence la tyrannie. »

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Miroir brisé

« Je pense que cette histoire va potentiellement rendre furieux à la fois les gens de gauche et de droite, sourit Michael Kelly (qui joue le rôle d’Andrew McCabe, adjoint de Comey). Mais surtout, j’espère qu’elle va lancer des conversations. Qu’il y ait des électeurs indécis dans notre pays me surprend toujours: il n’y a plus de zone de gris, c’est noir ou blanc. On peut et on doit leur montrer les faits, ce qui a changé depuis les élections de 2016, comment les normes qui régissaient notre pays, une si jeune démocratie, ont été réduites en miettes, mises en lambeaux et qu’on ne peut faire comme si ça ne se produisait pas. » The Comey Rule entend s’accrocher à la tradition des grandes fictions politiques inspirées de faits réels telles que Les Hommes du président d’Alan J. Pakula, sur le scandale du Watergate durant la présidence de Richard Nixon. S’il ne semble pas avoir la puissance du récit dans lequel excellaient Robert Redford et Dustin Hoffman, pour un sentimentalisme un peu nostalgique, c’est aussi parce que l’époque, comme le paradigme politique, ont changé et que les lignes sont brouillées, les clivages renforcés et les intégrités émoussées. Et que le miroir dans lequel l’Amérique aimait se voir s’est brisé pour de bon.

The Comey Rule, minisérie créée par Billy Ray. Avec Jeff Daniels, Brendan Gleeson, Jennifer Ehle. Disponible à partir du 10/10 sur Be Séries. ****

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