Sur le tournage d’“Arcanes”, la prochaine série policière de la RTBF
Issue du Fonds séries FWB-RTBF, le polar Arcanes, de Michèle Jacob et Benjamin Dessy, était en tournage cet été. Au cœur du Brabant industriel, rencontre avec les fantômes d’un pays qui regarde enfin son Histoire en face.
Sur les hauteurs de Hoeilaart, surplombant la vallée verdoyante d’où s’échappent quelques clochers, l’été est retardé par les lourds et sombres nuages qui refusent de déserter le ciel de juillet. Sous la menace des averses, l’équipe technique se dépêche de rentrer dans un manoir cossu datant du début du siècle, pour reprendre le tournage d’Arcanes, nouvelle série RTBF prévue pour 2025. Ayant bénéficié du Fonds des Séries FWB au terme d’un long processus d’écriture et de réécriture, elle est dirigée par Michèle Jacob, scénariste et réalisatrice du très beau film Les Enfants perdus (sélectionné au Bifff 2024) et Benjamin Dessy. Tous deux ont repris un projet que ce dernier avait démarré avec Brieuc de Goussencourt. Plusieurs remaniements et rebondissements plus tard, le projet est enfin sur les bons rails, sillonnant le centre de la Belgique, de Tubize à Vilvoorde en passant par Hoeilaart, donc, pour planter son décor.
Dans une ville rongée par le chômage, la fonderie de la famille Rosier est au cœur de la désindustrialisation. Mais la grogne sociale n’est pas le seul orage que doit traverser la directrice et héritière, Clémence (Jasmina Douieb). Son fils a été assassiné dans des circonstances non élucidées et le meurtrier présumé, D’Ambrosio (Michelangelo Marchese), a été relaxé fautes de preuves. Mais quand la nièce de ce dernier, amie du fils défunt, vient elle aussi à disparaître, et que la police piétine, Clémence et D’Ambrosio vont devoir faire équipe, éteindre l’incendie des rancœurs et des luttes sociales pour mettre au jour les ramifications d’un mystère que peu semblent vouloir élucider.
Le social et l’intime
Michèle Jacob prend quelques minutes entre deux scènes tournées dans l’imposante bâtisse pour évoquer un scénario qui a fait son chemin, mais n’a jamais quitté son ancrage premier, et double: un murder mystery au cœur des luttes sociales et de la paranoïa qui ont frappé la Belgique durant les années 90. Un double écho à la faillite des Forges de Clabecq et à l’affaire Dutroux. « Tous mes projets se situent dans les années 90, explique-t-elle. Il se trouve que ces années renvoient immanquablement, en Belgique, aux récits d’enfants disparus. Et puis Ben et moi avions envie de traiter de la fin de la sidérurgie en Belgique. Ces deux éléments historiques sont incontournables si on veut aborder cette période. Mais le défi pour Arcanes était de ne pas oublier de situer le scénario juste avant les événements, notamment avant la réforme des polices qui a suivi l’affaire Dutroux, pour s’immerger dans les émotions qui ont prévalu alors et mènent nos deux personnages principaux à plonger dans les méandres de l’enquête. »
Pour le rôle de Clémence Rosier, l’actrice Jasmina Douieb (La Trêve) a puisé dans la grande et la petite histoire pour donner corps au scénario d’Arcanes où s’enlacent le social et l’intime. « Clémence vient d’une famille de riches industriels », nous raconte-t-elle au milieu du décor où vient de se terminer une scène: une chambre bourgeoise qui semble retournée par le passage d’une tempête. Ou d’une grande colère. « Elle a perdu son fils deux ans avant les événements qui ouvrent la série, dans un contexte de manifestations telles qu’on les a connues dans les années 90. C’était une période de tensions, de menaces. Benjamin Dessy, le scénariste, était enfant au moment où sa famille dirigeait les Forges. Le récit est inspiré en partie de ce qu’ils ont vécu. Clémence se construit avec son deuil. Au fur et à mesure du récit, elle quitte la dureté, et s’ouvre à une autre étape de son deuil, qui n’est plus dans le combat. En s’alliant avec D’Ambrosio, relaxé, elle doit d’abord surmonter un immense ressentiment. Mais en faisant ça, elle va parvenir à questionner les conflits sociaux et de classes. C’est marrant parce qu’on tourne dans une maison qui appartient exactement à ce type de famille industrielle. Le fait qu’elle soit située sur les hauteurs, à distance, lui donne toute une symbolique: le charme d’une bourgeoisie qui s’est hissée par l’exploitation des ouvriers.«
Dans ce polar dont les enjeux coulissent en gigogne, le casting d’Arcanes est complété par Lara Hubinont (La Trêve), qui incarne une policière issue elle aussi d’une famille d’immigrés italiens. Michèle Jacob et Benjamin Dessy ont tenu à incarner cette tension entre familles industrielles et familles issues du monde prolétaire et de l’immigration italienne, qui ont essaimé du monde ouvrier, syndical, vers toutes les composantes de la société. En gardant palpable la tension tectonique qui secoue ses strates.
Dans le sillage d’Ennemi public ou 1985, la fiction belge -et Arcanes en est encore un exemple- semble enfin capable de prendre à bras-le-corps les tragédies collectives et les fractures historiques d’un pays connu pour son rapport titubant à la mémoire. Pour Michèle Jacob, le format série tombe à pic: « De ma petite expérience, les contraintes sont les mêmes pour un film ou une série: elles sont essentiellement budgétaires. Quels sont les moyens à disposition pour réaliser ses ambitions? On a eu beaucoup de chance avec la RTBF, car elle nous a laissé beaucoup de liberté pour raconter ce qu’on voulait et comme on le voulait. L’écriture d’une série est un exercice très balisé: celle-ci, il faut la découper en six épisodes, pour une diffusion en trois soirées. Donc, on travaille en actes. Ça paraît très technique et froid, mais une fois cette technique passée, on peut vraiment s’amuser avec les personnages, les dialogues, et ce qu’on a envie de raconter sur le monde. Les séries permettent de déployer de grands arcs narratifs, de grandes thématiques qui parlent du monde dans lequel on vit. Mais véritablement, ce qui constitue l’âme d’une histoire, ce sont ses personnages. Ici, tous les personnages féminins sont un peu des guerrières. »
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