Squid Game saison 2, c’est reparti pour un tour à la vie, à la mort
La nouvelles saison de Squid Game creuse le sillon de la Battle Royale, éclipsant toujours au passage toute œuvre similaire. Analyse d’un phénomène qui a définitivement dépassé les bornes de son propre récit.
Dimanche 1er décembre, Paris, balayé d’un froid glacial, est le théâtre d’un remake live d’une des séquences de Squid Game, série Netflix sensation de l’année 2021. Sur sa plus prestigieuse artère pourtant, les Champs-Élysées, le youtubeur Inoxtag, encore auréolé du succès de son documentaire relatant son ascension de l’Everest, a réuni les 456 participants réglementaires à un gigantesque 1-2-3 Soleil. Sous la surveillance d’une poupée géante et de gardes chiourmes masqués de noir et affublés des formes géométriques que les fans de la série Squid Game connaissent bien. Encadré par d’autres youtubeurs et streamers, l’événement a adopté les codes d’une des sanglantes compétitions qui scandaient la série phénomène de 2021 signée par le sud-coréen Hwang Dong-hyeok. Il était un de ceux, à travers le monde, chargés d’annoncer de manière virale la seconde saison de la série culte, prévue le 26 décembre. La première avait explosé les compteurs de Netflix (111 millions de vues dès le premier mois), emballé la toile, enrôlé, déjà, les réseaux sociaux et les médias qui leur ont emboîté le pas, électrisé les jeunes au point d’inquiéter profs et parents.
Commentaire social
Inspiré d’un phénomène populaire en Corée dans les années 1980, Squid Game (Le jeu du poulpe) réunit des personnes endettées dans un Koh-Lanta mortel jalonné de jeux d’enfants dont les perdants sont exécutés sans autre forme de procès. Seong Gi-hun, endetté jusqu’à la moelle, se retrouve happé par nécessité dans cette course folle dont il découvre peu à peu les ressorts effroyables. Dernier rescapé du massacre, au prix de rebondissements parfois éprouvants, il récolte, au final, le pactole convoité. Sans que celui-ci ne parvienne à résoudre le dilemme existentiel qui le secoue et qui a été forcément mis à jour. Sous son apparence dystopique et sa matière gore et ultraviolente, Squid Game est une fiction de survie, mettant en scène une compétition mortelle entre des centaines de candidats, briguant la victoire et la récompense financière pour se sortir de l’ornière. Sa morale pointait, sous les litres d’hémoglobine, les couches de masochisme et les retournements spectaculaires du scénario, combien l’argent ne fait le bonheur ni de ceux qui en ont trop, ni de ceux qui en manquent. Combien, même, il porte potentiellement la ruine de l’existence et monte les uns contre les autres les plus exposés à la pauvreté, aux inégalités, au désespoir chronique. Le commentaire social voulu par Hwang Dong-hyeok vise l’endettement, l’exploitation, la marchandisation, la mort du collectif. La brutalité du capitalisme en ligne de mire, Squid Games et sa symbolique macabre de la lutte des classes a également mis en lumière la réalité sociale et politique de la Corée, en plein miracle (mirage?) économique et culturel mais grevée d’un triste record de surendettement d’une bonne part de sa population. Ces thématiques se retrouvent dans une deuxième saison qui fait irrémédiablement passer la série dans le domaine des franchises, sans craindre de nouvelles contradictions. Son créateur a d’ailleurs soufflé le chaud et le froid sur la décision de relancer l’intrigue, une solution qu’il ne préconisait absolument pas il y a trois ans. D’autant qu’entre-temps, le ratage de la téléréalité Squid Game: le défi, qui a repris les codes de la fiction -le gore et les exécutions en moins- tenait plus du produit dérivé poussif et éventé, du bouche trou opportuniste, que de l’événement culturel qu’il entendait embrasser.
Ordalies collectives
L’appréhension est donc palpable alors que les sept épisodes, au lieu de neuf précédemment, viennent d’être mis en ligne. La bonne nouvelle réside dans le fait que la nouvelle intrigue parvient malgré tout à surprendre, alors qu’elle maintient fermement ses repères visuels désormais iconiques, reprend de vieilles rivalités, introduit de nouveaux personnages, de nouvelles intrigues secondaires, un hors-champs résolument opérant. Pour le fan service autant que pour la cohérence de cette suite, le créateur et ses scénaristes sont aller puiser dans un nouveau réservoir de jeux enfantins transformés en ordalies collectives et mortelles. Gi-hun, vainqueur de la compétition mais réticent à en collecter les fruits, avait cloturé la première saison avec la ferme intention d’en découdre avec Squid Game et son organisation sadique. Il retrouve le Frontman, dont la double identité avait secoué les sens, et de nouvelles rivalités qui dépeignent toujours plus la souffrance intrinsèque d’individus broyés par un système d’exploitation. Mais une fois qu’on a dit ça, le problème reste toujours le même: les cliffhangers, les références pop et les séquences prêtes à poster sur Tik Tok et Instagram, en font un objet toujours plus viral et opportunément sensationnaliste et polémique, appauvrissant -ou, tout au moins, banalisant- sa matière viscérale et satirique. En revanche, la cinématographie prend davantage de radicalité formelle: son rythme syncopé d’images frappantes, de fondus subliminaux, d’évocations symboliques ou expressionnistes, ses compositions rigoureuses sont un surprenant régal qui maintient l’attention rivée sur cet objet reflétant toutes les problématiques confuses de l’époque.
Déjà-vu
Dans sa tentative d’embrasser de manière exhaustive les obsessions, les dérives et les failles d’un système qui pousse l’individualisme a son apogée et le collectif à sa portion congrue, Squid Game ne parvient pas toujours à se débarrasser des comparaisons et références, volontaires ou non. Elles sont nombreuses. Au cinéma, bien sûr, cela a déjà été dit à maintes reprises, de précédents films avaient pris à bras le corps la dénonciation plus ou moins aigüe et inspirée de l’aliénation, de l’inféodation et de la mise en concurrence: Le Prix du danger (Yves Boisset, 1980), Running Man (Michael Paul Glaser, 1987), Battle Royale (Kinji Fukasaku, 2000) et Hunger Games (Gary Ross, 2012), tous dans une forme survivaliste et moraliste assumée.
La gamification extrême de Squid Game, jusqu’à l’outrance, laisse s’échapper toutefois d’autres évocations troublantes: les jeux de masques intrigants, les révélations coûteuses pour le scénario, la recherche de l’effet de surenchère permanent replongent dans les veines ouvertes par Westworld, la série créée par Jonathan et Lisa Joy pour HBO et inspirée du film Mondwest. La volonté d’être à tout prix dans la nouveauté et la sidération par la surprise lui collait autant qu’à Squid Game. Et si Hwang Dong-hyeok a, au départ, refusé catégoriquement l’idée d’une seconde saison de sa série, c’est peut être pour s’éviter la surenchère et la perte de sens que Westworld s’est infligé au-delà de sa première saison réussie. Il faut aller jeter un œil dans les productions japonaises pour voir combien le sillon est peuplé. En 2020, Alice in Borderland, inspiré d’un manga éponyme, projetait un jeune gamer dans un japon dystopique, un réalité parallèle où il devient le concurrent d’une série d’épreuves mortelles. Pas de prix final, pas d’univers enfantin détourné: juste la sensation de couperet d’une série de jeux de cartes transformées en jeux de vie et de mort. Les animations Darwin Game, Tomagachi Game et Kaiji: Ultimate Survivor portent également, quant à elle, l’épée de Damoclès dans les plaies du surendettement, de la mise en concurrence exacerbée, de la précarité et de l’individualisme nihiliste.
Le prix à payer
En 2023, Bargain : le prix à payer, série coréenne signée Jeon Woo-sung, a bousculé les codes que Squid Game avait réussi à imposer au monde. En inversant le point de vue. Celles et ceux qui ont le pouvoir financier deviennent les proies d’un jeu qui ourdit des rebondissements spectaculaires et admirablement orchestrés, les plongeant au cœur d’un jeu dont ils ignorent tout. Comme Squid Game, Bargain avance une critique du capitalisme, de sa force d’attraction et de sidération. Mais Bargain, en s’avérant plus complexe, surprenante et intelligente, met en scène l’effondrement symbolique de l’économie de la surexploitation, dans un très long (faux) plan séquence en temps réel qui fait tout partir en sucette à la manière d’un jeu vidéo catastrophiste. À la suite de cette réussite, le prix à payer, pour Squid Game, a été de se hisser à la hauteur de l’ironie, du cynisme, pour redevenir l’effroyable fable qui châtie au tout premier chef la surconsommation, l’apparence, le consumérisme, la mise en concurrence. Et de rester fidèle à son ADN protéiforme, son canevas esthétique rigoriste. Tout en acceptant de poursuivre des objectifs désormais industriels. Formellement, cette nouvelle saison réussit sa descente aux enfers et s’évite une chute de tension. Sans doute, au prix d’une obligation de surenchère que son créateur réussit à atténuer par des choix visuels plus exigeants, un vrai point de vue d’auteur dans un crescendo d’attente et d’enjeux économiques vertigineux. À ce petit jeu-là, s’en sortir indemne est déjà une sacrée récompense.
Squid Game, saison 2 ***(*)
Une série Netflix créée par Hwang Dong-hyeok. Avec Lee Jung-jae, Park Hae-Soo, Wi Ha-joon, Jung-Ho-yeon.
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