Quand les séries s’installent sur les bancs de l’école

Sex Education, exemple récent de la place prégnante de l'école dans les séries. © NETFLIX
Nicolas Bogaerts Journaliste

Au cours de son histoire, la télévision a livré des représentations parfois mouvantes de l’école, de la vie qui s’y déroule et des professeurs. S’y reflètent toujours les grandes questions qui traversent nos sociétés.

Entre décor et écosystème relationnel, les écoles dépeintes dans les séries racontent bien des choses quant aux représentations de l’institution. Elles en disent long sur l’image que l’opinion renvoie des professeurs, de notre rapport à la jeunesse et de ses apprentissages multiples: les sentiments amoureux, la question de place dans le collectif et la société, la réalisation de soi, la difficulté de grandir, l’inclusion, le harcèlement, les discriminations. Capable de fédérer un large public, ces fictions enclenchent également une nostalgie chez celles et ceux qui y revivent les souvenirs d’adolescence ou projettent sur les murs des classes leurs aspirations sociétales. Le microcosme scolaire est ainsi une caisse de résonance pour les questions qui secouent le monde contemporain. Mais ces représentations sont aussi tributaires des enjeux et des tribulations que l’école connaît dans le monde réel.

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Repoussoir

En tant que premier lieu de vie des enfants, l’école a de manière évidente été le décor ou le centre névralgique de leurs mésaventures, dans des séries qui ont colonisé nos écrans depuis les années 80: de La Petite Maison dans la prairie à Sex Education en passant par Parker Lewis ne perd jamais, Fame, Malcolm in the Middle ou Hartley, cœurs à vif et son remake de 2022, l’école est le théâtre par excellence où se racontent l’adolescence et ses émois. Ce monde insouciant a souvent fait des professeurs, en tant que représentants du monde adulte, un obstacle à l’épanouissement hédoniste des jeunes et donc un repoussoir. Cette image a aujourd’hui considérablement changé, et les séries centrées sur le milieu scolaire abordent les questions critiques qui jalonnent son quotidien, avec humour ou sérieux, selon. Dans les années 2000, Boston Public, créée par David E. Kelley (Big Little Lies), a abordé l’école en tant qu’écosystème. La quatrième saison de The Wire, de David Simon, a abordé l’épineuse question des déterminismes sociaux à l’œuvre dans le système scolaire américain.

Si l’école est aujourd’hui malmenée dans l’opinion publique ou les programmes politiques, elle est plus que jamais un enjeu de société. Pour Catherine Lochet, coordinatrice du groupe École des Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA): “L’école est le seul lieu d’entraînement obligatoire des enfants au collectif, au savoir-être. On y apprend à fonctionner et à s’accepter ensemble. Ce n’est plus uniquement un lieu de transmission du savoir et des compétences.” Dans la deuxième saison de L’École de la vie (Tipik/France 2), Alexandra Delage, la prof de français jouée par Julie de Bona, le résume avec ces mots: “Le but de l’école, c’est de préparer les jeunes à rentrer dans la société”.

Hartley, cœurs à vif, version 2022.
Hartley, cœurs à vif, version 2022. © NETFLIX

Dimension critique

La nouvelle série humoristique de la RTBF, Salle des profs, créée par Christophe Bourdon, aborde la complexité ou l’absurdité du métier d’enseignant dans une forme d’humour nonsense qui confine à la catharsis. Diffusées dès le 28 août juste avant le JT de La Une, ces capsules mettent en scène des professeurs aux prises avec les difficultés du métier (application du Pacte d’excellence, complexité des programmes, démotivation…). C’est désormais un thème crucial et indispensable du genre.

Dans la fiction francophone, un tournant s’était opéré en 1993 avec L’Instit. L’acteur Gérard Klein y est Victor Novak, enseignant envoyé aux quatre coins de la France au gré des remplacements. Chaque épisode, centré sur la problématique d’un élève, était prétexte à aborder un thème de société (racisme, maltraitance, illettrisme, précarité, homoparentalité…) où les qualités humaines et pédagogiques de Novak opéraient des miracles.

Pour Lionel Gouraud, auteur en 2003 d’une thèse sur cette série emblématique, dans le contexte du début des années 90, Victor Novak était, “en sa qualité d’instituteur, un vecteur privilégié de promotion d’un métier en crise, dont la reconnaissance avait besoin d’être réactivée. Vingt ans plus tard, le constat conserve une même dimension critique pour un secteur malmené tant au niveau des politiques que de l’opinion publique. De manière générale, les personnages de profs dans le sillage de Novak ont hérité de cette position d’équilibriste. Catherine Lochet analyse: “On reste pris au piège d’une image passéiste de l’enseignant, un être qui devrait être supérieur, car responsable de la transmission du savoir. C’est paradoxal car aujourd’hui, il faut observer qu’ils ne sont plus les seuls détenteurs de la connaissance. Leur travail consiste aussi à éveiller la curiosité.” Par ailleurs, d’après Lionel Gouraud, “Novak a été un instituteur très apprécié par les téléspectateurs en même temps qu’il a plus généralement agacé les enseignants”.

Syndrome du sauveur

Les écrans demeurent des miroirs déformants du milieu scolaire. Comment refléter les enjeux et la complexité, les écueils et les réussites du métier d’enseignant quand les exigences de l’audience influencent les dimensions esthétiques et narratives, au prix parfois d’un éloignement des réalités? Toutes les qualités humaines que déploie Nicolas Valeyre, le prof joué par JoeyStarr dans Le Remplaçant (TF1) rendent invisibles les efforts collectifs pourtant à l’œuvre au sein d’un établissement scolaire. Si les enseignements philosophiques de Benjamin Rousseau (Charlie Dupont dans La Faute à Rousseau sur France 2) constituent des tremplins à l’émancipation de ses élèves, l’architecture cossue et moderne dans laquelle ces derniers évoluent se situe bien loin de la réalité d’une majorité d’établissements, en proie aux rigueurs budgétaires. Pour sa part, L’École de la vie (France 2) reflète de manière plutôt réaliste les enjeux du métier d’enseignant, les relations avec les élèves, les parents et la hiérarchie.

Mais bien souvent, ce sont les efforts ou les qualités individuelles d’un prof qui sort du strict champ pédagogique pour aider un élève en difficulté qui sont mis en valeur, l’affublant par la même occasion d’un encombrant syndrome du sauveur. “On ne devrait pas dire que son enfant va bien parce qu’il est tombé sur la bonne personne, analyse Catherine Lochet. Et pourtant, dans la réalité, c’est souvent le cas. On devrait former tous les enseignants à cet équilibre entre transmission et plaisir, curiosité, envie. Ce ne devrait pas constituer une exception.

Un des enjeux importants de l’école aujourd’hui”, poursuit-elle, “c’est de prendre soin de tous ses acteurs et actrices, élèves et enseignants. Et ça, ça manque cruellement.” Comme une anticipation, les séries ont commencé timidement à nous montrer qu’au-delà des apprentissages, l’école doit contribuer à l’épanouissement des jeunes, et veiller à valoriser ces profs qui accompagnent la construction de leur personnalité.

Profs en séries

Janine Teagues (Abbott Elementary)

L’institutrice de deuxième année de l’école primaire Willard R. Abbott s’est donné pour mission d’améliorer la vie de ses élèves. Mais elle en fait sans doute un peu trop. La série mockumentaire, diffusée depuis 2022 sur Disney+, est inondée par son optimisme débordant, son syndrome du sauveur persistant, son volontarisme éclatant. Au sein d’une école frappée par la démotivation du corps enseignant, ce personnage symbolise l’enthousiasme débordant, la passion, la motivation qui font souvent défaut à ses collègues. Loin d’être un modèle réaliste, elle insuffle pourtant une énergie particulièrement communicative dans les couloirs, de celle qui créent les vocations par écrans interposés.

Victor Novak (L’Instit)

Pour beaucoup, il est l’archétype de l’enseignant, le visage de l’Éducation nationale en France, le héros d’une institution scolaire en crise. Créée dans un contexte politique particulier -la fin de la Mitterrandie-, le personnage du professeur incarné par Gérard Klein a sillonné les routes de France entre 1993 et 2000, portant d’une école à l’autre les valeurs civiques et républicaines. En plus de ses cours, il aide les élèves à affronter les grands problèmes du quotidien, des thèmes inspirés par l’actualité d’une France menacée par la montée de l’extrême droite. Depuis, aucun prof dépeint en télé ne peut échapper à l’emprise de son imposante influence sur la mémoire collective.

Roland Pryzbylewski (The Wire, saison 4)

Détective aussi impétueux qu’incompétent apparu dès la première saison de The Wire, Roland “Prez” Pryzbylewski doit quitter l’unité spéciale en charge des écoutes après une épouvantable bavure. Ce spécialiste du codage enclenche alors une spectaculaire reconversion professionnelle, en tant que prof de mathématiques dans une école des quartiers difficiles de Baltimore. La manière avec laquelle son humanité s’y révèle est un des ressorts poignants d’une quatrième saison que David Simon a consacrée aux enjeux de l’éducation. Au sein d’un système scolaire où cartonne la reproduction des inégalités sociale, l’ancien flic fera beaucoup pour que ses élèves ne se retrouvent pas dans le viseur de ses anciens collègues.

Carrie Bliss (Sauvés par le gong)

En 1988, Disney Channel inaugure une nouvelle série, Good Morning, Miss Bliss. Celle-ci raconte le quotidien de Carrie Bliss, une enseignante volontaire en prise avec les états d’âmes et les irrévérences des élèves pourris gâtés d’un collège de la banlieue middle class de Los Angeles. Cette comédie douce-amère ne durera qu’une saison, mais sera reprise quasi telle quelle l’année suivante par NBC, qui en change la focale: désormais les kids seront au cœur des intrigues, et Miss Bliss la spectatrice bienveillante de leurs émois fluorescents. Au passage, la série change de nom, devient Saved by the Bell (Sauvés par le gong) et finit par s’imposer mondialement comme un emblème esthétique des années 90.

Edna Krabappel (The Simpsons)

Dès les débuts de la série créée par Matt Groening, en 1989, Edna Krabappel est devenue un des personnages préférés des fans. Certes, elle ne correspond pas aux canons auxquels ont peut s’attendre pour personnifier une institutrice: elle drague, elle boit en classe, elle n’a pas sa langue dans sa poche, même si sa grande sensibilité semble enfouie sous des couches de maquillage et de sarcasme. Dans la décennie qui l’a vue naître à l’écran, cette image est à l’exact opposé de celles que renvoient la plupart des séries, employées à dépeindre les professeurs en Robin des Bois ou en écervelés. C’est très certainement ce qui la rend si humaine et attachante.

Walter White (Breaking Bad)

Sans doute, à son corps défendant, Walter White est la plus formidable incarnation du burn-out qui guette les enseignants. Au début de Breaking Bad, il est un prof jadis passionné mais au bout du scotch, débitant ses cours à un rythme qui ne peut cacher sa lancinante douleur intérieure. Forcé de se trouver une nouvelle vocation après l’annonce de son cancer, il emporte son savoir et une partie de l’équipement de son établissement pour créer un labo clandestin de meth et devenir un redoutable dealer. Mais il le fait en prenant sous son aile le plus cancre de ses élèves, signe que la transmission et l’inclusion sont des termes qui, dans son esprit, n’ont pas perdu tout leur sens.

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