Amazon investit dans Showrunner, une plateforme sur laquelle tout un chacun peut générer ses propres épisodes de série. On a testé.
Boris Johnson et Lady Gaga entrent dans le siège d’OpenAI. L’ancien Premier ministre britannique demande à la chanteuse si elle a déjà entendu parler de Focus Vif («Ce truc de merde qu’ils appellent un magazine»). Gaga prend notre défense («Focus Vif a plus de culture sur une page que vous n’en avez eu dans toute votre existence de chevelu hirsute»), après quoi les deux se disputent pendant une minute et demie. A mi-parcours, Lady Gaga bondit dans les airs pour frapper Boris Johnson comme Trinity dans Matrix. Le politicien disparaît de l’écran, mais la caméra continue de se concentrer sur l’endroit où il se tenait, tandis que son dialogue se poursuit comme si de rien n’était.
Ce qui est décrit ci-dessus n’est pas un rêve loufoque comme on peut parfois en faire, mais une scène générée dans Showrunner. Avec cette plateforme de streaming, la start-up californienne Fable Studio espère détenir l’avenir du divertissement. L’idée est simple: sur base de quelques prompts (une description textuelle fournie à un modèle d’IA), l’intelligence artificielle génère une série, votre série. Il est aussi possible de visionner, voire retravailler les créations des autres utilisateurs. La fin d’une série est bancale? En quelques prompts, une nouvelle conclusion, supposément meilleure, peut être générée.
Les attentes pour Showrunner sont élevées. Le PDG de Fable, Edward Saatchi, la qualifie de «Netflix de l’IA». Voici deux ans, l’entreprise avait déjà fait le buzz avec The Simulation, une application grâce à laquelle il était possible de créer ses propres épisodes de South Park. Problème, les résultats étaient d’une qualité douteuse, mais on en parlait. Assez pour attirer l’attention de Jeff Bezos. Rien n’a filtré sur le montant exact, mais Amazon a investi dans Showrunner afin d’être le premier à surfer sur cette nouvelle vague du divertissement.
A terme, l’objectif est de rendre l’utilisation de la plateforme payante; pour l’instant elle est toujours en phase de test. De quoi permettre à tous de laisser libre cours gratuitement à son imagination. On n’a pas pu résister. Le moins qu’on puisse écrire, c’est que le résultat est tout bonnement décevant.
Pas de quoi rire
On a choisi comme point de départ Exit Valley, la première série «officielle» de Showrunner. Comme Edward Saatchi le reconnaît, l’IA peut rapidement produire des intrigues confuses et incohérentes, ses équipes ont donc d’abord créé une saison officielle sur laquelle les utilisateurs peuvent greffer leurs propres variantes. Dans un style graphique qui rappelle fortement Family Guy, cette série animée satirique se moque du secteur technologique.
La première chose qui interpelle est le nombre limité d’options. Impossible de rédiger une scène complète à sa guise: certains éléments doivent d’abord être définis –quels personnages participent à la scène, le lieu de l’action, ce qui s’y déroule. A chaque étape, les propositions sont limitées. Si l’on peut faire interagir Mark Zuckerberg, Kim Kardashian, James Joyce ou Donald Trump, il est impossible, par exemple, d’ajouter Benoît Poelvoorde. Quant aux actions, elles incluent des choix absurdes comme «déteste les amis imaginaires» ou «tire avec un pistolet laser futuriste sur», mais rien de nouveau. Ce n’est que plus tard que l’on a découvert qu’il existait d’autres canaux pour soumettre des demandes de nouveaux personnages et actions, gérés par des membres de la plateforme plus compétents. En tant que profane, on est dépendant de l’imagination des autres.
Finalement, on est parvenu à entrer un prompt personnel et à décider d’un scénario. C’est ainsi qu’on en est venu à…
Show: Exit Valley Primetime
Set: OpenAI HQ Lounge – Sim Francisco
Characters: Lady Gaga, Boris Johnson
Action: Performs Matrix Move On
Prompt: Boris Johnson says that the Belgian magazine Focus Vif is a piece of shit, which offends Lady Gaga, who is a big fan of the magazine.
Le résultat est la scène décrite en début d’article. Et honnêtement, on n’a pas vraiment ri en regardant le résultat. Non seulement à cause des défauts techniques –les personnages bougent de manière rigide et Boris Johnson disparaît en fumée à mi-parcours– mais aussi parce que ce que l’IA a généré à partir de nos indications, certes limitées, est tout simplement inintéressant. Même les répliques semblent avoir été écrites par un élève de maternelle. On a réessayé avec des prompts plus détaillés, mais la moitié d’entre eux a été ignorée, le système ne savait pas comment les traiter. On peut faire dire à Boris Johnson que Focus Vif est nul, mais la plaisanterie s’épuise vite.
Défauts techniques, humour douteux, l’intérêt est limité, pour ne pas dire nul.
Pizza à l’ananas
Autre problème, plus fondamental, Showrunner ne surprend pas, ni avec des idées atypiques ni avec un humour à contre-courant. On est loin d’être ébloui par des chefs-d’œuvre visuels dans un style encore jamais vu ou dont le dénouement est totalement imprévisible. Et puis, on peut s’interroger sur l’intérêt réel de générer sa propre version d’un dessin animé… Outre le fait que la technologie est encore loin d’être au point.
Après avoir généré une première scène, une fonction «crazify» est soudainement apparue en dessous. Sans aucune intervention de notre part, le dialogue entre Lady Gaga et Boris Johnson s’est alors transformé en une discussion sur le fait d’aimer ou non l’ananas sur la pizza. Décidément, nous n’avons pas le même humour que l’IA de Showrunner.