“L’héritage de Buffy est un peu partout sur le petit écran”

© Jean-Michel Olité/clip2comic

Derrière les masques grossiers des fameux suceurs de sang que l’héroïne terrasse à la chaîne, la série Buffy contre les vampires, diffusée de 1997 à 2003, s’affichait en modèle de lutte féministe comme aucune série mainstream avant elle. Dans son passionnant Buffy ou la révolte à coups de pieu, Marion Olité, spécialiste des séries, rappelle l’influence majeure du show. Très documenté, l’essai montre comment Buffy (l’héroïne comme le show) est constamment en lutte contre le patriarcat, quelles que soient ses incarnations (le capitalisme, l’individualisme). Bien avant #MeToo, la série est une véritable précurseuse de questions telles que le consentement ou les violences au sein des couples. Elle initie aussi un female gaze alors inconnu et prône un salvateur recours au collectif. La journaliste n’omet pas de pointer des écueils et revient sur les récentes accusations à l’encontre du showrunner révéré de la série, Joss Whedon, paradoxalement peu respectueux des valeurs qu’il prêchait… De quoi méditer et, oui, “écrire à notre tour nos propres mythologies féminines contemporaines”.

Buffy contre les vampires est une série grand public, mais ciblée adolescents, avec un côté très kitsch. Comment expliquez-vous son succès?

Par la qualité de son écriture en particulier et par le brio de son cast. Derrière les monstres en caoutchouc, Buffy est une série qui nous parle de l’expérience universelle du passage à l’âge adulte et qui tente de nous donner des clés pour bien la vivre. Elle possède un sous-texte extrêmement riche qui a été étudié aux États-Unis sous de nombreux aspects: sociologiques, théologiques, philosophiques… C’est aussi la création d’un nouveau mythe, celui des Tueuses et une invitation à entrer dans un monde où l’universel dessine un visage féminin. Et la moitié de cette planète est en manque de ce type de représentations.

Vous revenez sur le coup de tonnerre des nombreuses accusations de comportemens abusifs à l’encontre de Joss Whedon. Vous semblez dire dans le livre que la série en sort paradoxalement grandie.

Ce qui est sûr, c’est que cette affaire a permis de dézoomer un peu de la personnalité de Joss Whedon, qui prenait beaucoup de place, et de se rappeler qu’une série composée de 144 épisodes ne peut pas avoir été produite par un seul homme. Des centaines de personnes ont permis à cette œuvre de voir le jour et c’est en plus raccord avec la philosophie de Buffy, où le collectif l’emporte. Comme le cast, les fans se sont aussi réapproprié la série. La figure de Buffy est devenue un tel symbole qu’elle s’est émancipée de son créateur.

La série, diffusée sur The WB, nouvelle chaîne de la parfois très prude télévision américaine, traite de sujets sérieux et parfois délicats. Pourtant, Joss Whedon semble avoir eu les mains libres…

Ce qui fait que la série est passée entre les mailles du filet de la censure, même si elle a fait partie des programmes pointés du doigt par des lobbys censeurs, ce sont ses métaphores monstrueuses et ses sous-textes. La série ne montre que rarement des scènes de sexe, elle suggère beaucoup. The WB était aussi une nouvelle venue dans le game des networks et elle avait besoin de séries un peu novatrices pour se faire remarquer. Il y avait plus de liberté que sur la Fox par exemple.

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Vous pointez les écueils de la série. Pensez-vous que si elle avait été produite aujourd’hui, elle aurait été plus juste sur certaines questions (le traitement problématique du personnage de Kendra, la Tueuse noire, par exemple)? Quels seraient les changements majeurs selon vous?

Je pense que ce serait une série plus inclusive et effectivement, certains arcs narratifs et personnages seraient traités différemment, en particulier la relation entre Spike et Buffy. Les personnages racisés -en particulier les Tueuses- ne seraient pas systématiquement tués. Ils seraient mieux développés et on découvrirait alors de nouvelles histoires. Je suis partisane d’une série centrée sur une nouvelle Tueuse. La fin de Buffy, avec toutes ces Tueuses Potentielles qui deviennent des Tueuses, ouvrait le champ des possibles.

Selon vous, quelles autres séries ont à ce point secoué le patriarcat?

Dans son style, le teen drama fantastique, sous-genre créé par Buffy et ô combien prolifique, on n’a pas fait mieux. Et en termes de puissance de frappe aussi. Il existe des séries bien plus féministes que Buffy (comme I May Destroy You, Fleabag, Orange Is the New Black…) ou des séries ados marquantes comme Sex Education et sa façon révolutionnaire de parler de sexualités au pluriel, mais je ne pense pas qu’il existe une série aussi puissante que Buffy. Une série qui ait empouvoiré autant de jeunes femmes à travers le monde. Buffy est devenue un symbole féministe parce que Joss Whedon s’est saisi du pouvoir des mythes, habituellement à la gloire des héros masculins, pour créer un mythe féminin.

Dans une série récente comme Ted Lasso, située dans le milieu du football masculin, on rencontre des personnages féminins très forts. Peut-on y voir l’influence de Buffy?

Ted Lasso a en commun avec Buffy une philosophie de la bienveillance, de l’attention à l’autre (l’éthique du care) et une volonté de la jouer collectif. Cela passe par traiter tous les êtres humains sur un pied d’égalité, en donnant autant d’importance au développement des personnages féminins que masculins. Parmi les héritières de Buffy, je citerais Veronica Mars, une série qui mélange teen drama et polar noir, avec une héroïne smart (Kristen Bell) qui lutte contre la culture du viol. Il y a aussi eu Jessica Jones, la détective féministe du MCU sur Netflix, Les Nouvelles Aventures de Sabrina, qui suit le quotidien de la jeune sorcière de 16 ans, et plus récemment encore Mercredi, produite par Gail Berman, qui fut aussi productrice exécutive de Buffy. Comme Buffy, la jeune Mercredi est une marginale dotée de pouvoirs surnaturels, qui évolue dans un lycée gothique et tente d’aider son prochain. Elle découvre aussi les bienfaits de l’amitié. Et enfin, plusieurs scénaristes, qui ont débuté dans Buffy, ont brillé dans le milieu des séries. L’héritage de Buffy est en fait un peu partout sur le petit écran.

Marion Olité – sa bio express

1984 Naissance en France.

2015 Rédactrice en chef de Konbini Biiinge.

2022 Journaliste indépendante pour Elle France, Madmoizelle, Marie-Claire, Têtu.

2023 Publie Buffy ou la révolte à coups de pieu, aux éditions Playlist Society.

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