La dernière danse de Michael Jordan, sur Netflix: « On savait qu’on jouait pour une équipe historique »

Michael Jordan et sa légendaire détermination. © NBAE via Getty Images
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

En dix épisodes, The Last Dance raconte depuis les coulisses et sur les parquets le dernier sacre de Michael Jordan avec les Chicago Bulls et comment ils ont, pendant dix ans, dynamité la NBA. Une série documentaire exceptionnelle sur un des rares phénomènes sportifs de la pop culture.

Six titres de champion NBA (il n’a jamais perdu une finale) et deux médailles d’or olympiques. Cinq trophées de MVP (Most Valuable Player) et dix de meilleur marqueur… Dix-sept ans après sa retraite, les statistiques de Michael Jordan restent affolantes. Le joueur des Chicago Bulls est d’ailleurs encore et toujours considéré comme le plus grand basketteur de tous les temps. Les Américains le considèrent même comme le meilleur sportif de l’Histoire. Jordan, ce n’est pas qu’un ancien extraterrestre des anneaux à la détente vertigineuse et à la gâchette facile, c’est une idole. Une icône de la pop culture qui s’est fait sculpter par Niki de Saint Phalle, a appris à danser dans les clips de Michael Jackson (Jam) et est pote avec Bugs Bunny (Space Jam). Jordan, c’était aussi un logo et une paire de chaussures, un modèle économique et commercial. Longtemps et peut-être encore toujours le sportif retraité le mieux payé au monde.

Série documentaire en dix épisodes (d’environ 50 minutes), The Last Dance retrace le dernier championnat chez les Chicago Bulls d’une éternelle légende. On est en 1997 et c’est la fin d’une ère. Le propriétaire du club, Jerry Reinsdorf, et le coach d’alors, Phil Jackson, acceptent d’être suivis à la culotte par une équipe de tournage et lui donnent un accès sans précédent à leurs coulisses pendant un an. The Last Dance, c’est le nom que l’entraîneur des Bulls prend pour thème de la saison. Il sait qu’à son terme il fera ses adieux à la ville venteuse de l’Illinois. Il sait aussi que cet ultime championnat marquera la fin d’une génération. « Même si tu fais 82-0, cette saison est ta dernière à la tête de l’équipe », lui a déjà annoncé le manager général Jerry Krause.

« C’était assez étrange pour l’époque d’accorder un tel accès aux caméras, explique Steve Kerr, l’actuel entraîneur des Golden State Warriors, joueur le plus adroit à trois points de l’Histoire de la NBA. Pour Phil Jackson, le vestiaire et l’espace des joueurs étaient quelque chose de sacré. Ça nous a surpris quand on nous a annoncé que ça arrivait mais tout le monde a embrassé le truc assez rapidement. On savait qu’on jouait pour une équipe historique et on a tous compris que ce serait génial de voir un jour ce genre de choses et de se souvenir. Puis, rien ne s’est passé pendant 20 ans… »

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The Last Dance ne parle pas seulement de l’idole et de ce qui deviendra le sixième titre des Bulls en huit ans. Il se construit comme une galerie de portraits et se penche globalement sur la meilleure équipe de basket de l’Histoire. Il voyage à travers les années 80 et 90 pour résumer l’épopée de cette génération dorée, raconter le mythique numéro 23, son entraîneur et ses équipiers les plus emblématiques. En 1997, le contexte est explosif. En guerre avec la direction (il a été sous-payé durant toute sa carrière), le grand Scottie Pippen, des chiffres faramineux et le meilleur lieutenant de tous les temps, n’a pas voulu se faire opérer et foutre en l’air son été. Il est indisponible et l’équipe s’envole sans lui pour Paris et des matchs d’exhibition. « On savait qu’on articulerait chronologiquement la série autour de cette saison 1997-1998, explique le réalisateur Jason Hehir. Mais avec dix heures devant nous, on avait l’opportunité de raconter en profondeur les histoires de ses principaux acteurs. Les faits liés à cette dernière danse nous offraient des portes pour remonter dans le temps. Scottie par exemple a raté les 36 premiers matchs de la saison. Il avait des problèmes avec le management. Dès le deuxième épisode, on revient donc sur son parcours. »

Dennis Rodman profite de son retour aux affaires pour s’en aller faire le zouave à Las Vegas. Au son des Beastie (la BO hip-hop claque comme un dunk), The Last Dance se penche sur le bad boy, roi teigneux du rebond et bulldog peroxydé qui fricotait avec Madonna et épousa Carmen Electra… Rebelle (« Je n’ai rien à prouver, j’emmerde ce milieu, je me fous de ce qu’on pense de moi »), Rodman a comme on l’entend dans la série gardé la gâchette facile de la déclaration tapageuse. « J’ai créé ce monstre mais personne ne pouvait dire du mal de moi en tant qu’équipier… Tu avais le grand Michael Jordan, le grand Scottie Pippen, le grand Phil Jackson mais si on m’enlève de l’équipe, est-ce qu’ils auraient gagné le titre? Je ne crois pas. »

Les Chicago Bulls en toute intimité.
Les Chicago Bulls en toute intimité.© NBAE via Getty Images

Génie, pub et dream team

Trépidant, construit sur base d’images inédites, d’archives et d’interviews ne manquant ni de prestige (Magic Johnson, Bill Clinton, Barack Obama) ni de piment, The Last Dance est une boîte à souvenirs, le making of d’un exploit. Une introduction au(x) champion(s) pour les jeunes générations. Ce témoignage est d’autant plus précieux que Jordan, contrairement à un tas d’autres athlètes, a disparu des radars avec les années. « Je ne sais pas trop pourquoi Michael est sorti des projecteurs après avoir arrêté de jouer, reprend le réalisateur. Mais comme vous le voyez dans la série, les feux de la rampe et la pression ont pesé de plus en plus lourdement sur ses épaules au fur et à mesure que sa carrière avançait. Sur et en dehors du terrain. On le voit en 1993, après le décès de son père. Être responsable des performances des Bulls, être l’une des plus grosses icônes de la pop culture de l’époque, c’était beaucoup comme responsabilités pour un seul homme. »

« L’impact de l’équipe sur la pop culture, Michael en était le chauffeur, commente Steve Kerr. Parce qu’il était immensément populaire. Parce qu’il apparaissait dans un tas de publicités. La dream team de 1992 a ouvert la voie. Il a ensuite enchaîné les titres de champion. Les fans de basket ont vu le génie de notre équipe et de son entraîneur et ont fait passer le mot. Ça a été une époque incroyable du basket. »

Jordan ne participe pas à la conférence de presse de confinés organisée par téléphone le lundi de Pâques. Pas plus que Scottie Pippen, qui a déclaré forfait en dernière minute, ou Dennis Rodman, fidèle à lui-même, qui a apparemment oublié de se pointer… His Airness a cependant filé de son temps à la série.

« Dès que je l’ai abordé pour discuter du documentaire, Michael s’est montré étonnamment coopératif et franc, avoue Jason Hehir. On l’a interviewé trois fois. La première en juin 2018. La deuxième en mai 2019. Et enfin en décembre de la même année. On a enregistré environ huit heures de conversation et dès la première, il a commenté des choses sur lesquelles je n’étais pas sûr qu’il s’aventurerait… » Hehir pense à son addiction au jeu dans les années 90, au meurtre de son père, comment ça l’a affecté sur le terrain et en dehors. Peut-être aussi aux lignes de coke, à la weed et aux filles auxquels il ne touchait pas mais qui rythmaient la vie des anciens…

Jordan n’a pas seulement fourni The Last Dance en matière première, il a aussi regardé toute la série en prodiguant de précieux conseils. « Il n’a jamais voulu censurer ou polir les choses. Il ne nous a jamais demandé d’omettre quoi que ce soit, ni estimé qu’un sujet dépassait les limites. Il a par contre suggéré des éléments qu’il ajouterait à tel ou tel épisode. Certains matchs, certains moments qui lui ont semblé importants. »

Sale type?

Le travail pour Jason Hehir (The Fab Five, Andre the Giant) a été du genre titanesque. Le réalisateur a lu 10.000 pages de recherches. Livres, articles et transcriptions de vieilles interviews. Il a aussi mené plus de 100 entretiens, puisé dans 10.000 heures d’images d’archive et 500 autres donc, inédites, tournées behind the scenes… Enfant des années 80 et 90, Hehir a été approché une première fois à l’été 2016 par l’un des producteurs exécutifs mais la fabrication de The Last Dance n’a réellement débuté qu’en janvier 2018. Elle a été accélérée ces dernières semaines pour avancer la sortie, initialement prévue cet été, au 20 avril. Ce qui en fait finalement, vu les circonstances, l’événement sportif du printemps. La série documentaire a été terminée à distance. Dans les bureaux à la maison et les home studios. À coups de SMS, de chaînes de mails interminables, de visioconférences et de conversations Facetime…

Netflix proposera deux nouveaux épisodes chaque semaine. De ce qu’on a pu en voir (quasiment la moitié), Jordan n’y est pas toujours à son avantage. Il déclare même qu’après avoir regardé la série documentaire, on le prendra pour un sale type. Elle épingle son génie, son engagement physique et mental mais aussi son niveau d’exigence, sa manière de bousculer ses équipiers. Preuve vivante et filmée que la victoire a un prix. « On peut penser, 20 ans après, qu’il était facile pour cette équipe d’être championne. Elle l’a été six fois en huit ans. Dès que Michael était présent à la reprise dans les années 90, ils remportaient le titre… Même moi, simple fan à l’époque, je tenais pour acquis qu’ils seraient dans les finals. Mais ça n’a jamais été aisé et simple. »

The Last Dance, série documentaire ESPN/Netflix. ****

À bicyclette

Netflix a sucé la roue de l’équipe Movistar lors de la saison dernière. Succès, plans foireux et guerre d’ego…

La dernière danse de Michael Jordan, sur Netflix:

« T’es devenu fan de F1 en regardant Drive to Survive? Alors tu deviendras peut-être fan de cyclisme en regardant Dans la roue de l’équipe Movistar. » Netflix ne s’en cache pas: la plateforme de streaming a trouvé un nouveau filon. Un nouveau modèle même. Suivre pendant une saison un sport depuis ses coulisses. Quelque part entre The Last Dance (plus historique et voyageuse dans le temps), qui a pour fil rouge la dernière année de Michael Jordan chez les Chicago Bulls (voir ci-dessus), et sa spectaculaire immersion dans les paddocks de la Formule 1 (plus transversale puisqu’elle se promène d’écurie en écurie), la série documentaire à deux roues s’assied dans le peloton sur le porte-bagages de la Movistar. Petite-fillotte de Reynolds, Banesto et Caisse d’épargne (40 ans de vélos usés par Pedro Delgado, Miguel Indurain ou encore Alex Zülle), l’équipe espagnole a vécu une saison 2019 plutôt mouvementée, marquée à la fois par les succès et les clashs, les coups foireux et les guerres d’ego.

Un vainqueur surprise au Giro, de grosses tensions entre ses leaders sur la Grande Boucle et un jeune prometteur qui n’en fait qu’à sa tête sur la Vuelta… Les réalisateurs José Larraza et Marc Ponz avaient de quoi faire. Tourné en huit mois, décliné en six épisodes d’une petite demi-heure, Dans la roue de l’équipe Movistar raconte la saison en s’épanchant sur les trois grands Tours. On les vit sur les routes bien sûr, mais aussi et surtout dans les voitures, le bus et les hôtels. Pendant les massages, les briefings et les petits-déjeuners.

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Pas géniale dans sa construction et sa forme (montage nerveux doublé de scènes inutiles et d’une bande son trop émotive), la série documentaire a le mérite de son cahier de charges: montrer l’envers du décor. Filtré, certes, mais pas dénué de temps forts. Elle permet ainsi de vivre avec les directeurs sportifs le pétage de plombs en pleine course de Marc Soler, qui est en tête de l’étape et à qui ils ont demandé d’attendre ses leaders à la Vuelta, ou encore l’attaque polémique de l’équipe dans ce même Tour d’Espagne alors que le meneur de l’épreuve, Primoz Roglic, est retardé par une chute. Sans oublier évidemment l’autodestruction dans la course au maillot jaune. Trois leaders et pas un dans le top 5…

Larraza et Ponz racontent les coureurs aussi. Leurs tempéraments et le passé. Ils filment le Colombien Nairo Quintana expliquer sa volonté héritée d’origines modestes et d’un père handicapé. Ils se baladent en Équateur dans la famille paysanne de Richard Carapaz, qui vit de l’élevage. Et, tout en retraçant sa superbe et surprenante victoire au Giro, racontent son premier vélo, qu’il a trouvé dans la camionnette de son paternel, ferrailleur à ses heures perdues. Ou encore le grave accident de la route dont il a été victime et qui a failli briser sa carrière (et même l’empêcher de marcher). On en oublierait presque Mikel Landa et Alejandro Valverde, qui évoque la malédiction du maillot arc-en-ciel. Celui qui a coupé sa faim de victoires (en début de saison du moins). Produit par Telefónica, un des sponsors de l’équipe, Le Jour où l’on s’y attend le moins (dans sa traduction littérale de l’espagnol) n’est pas une pub pour la Movistar mais aurait pu aller nettement plus loin. Dommage.

  • Dans la roue de l’équipe Movistar, série documentaire Netflix. ***

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