Guillermo del Toro sort son Frankenstein sur Netflix: «Les monstres sont devenus une partie de mon ADN»

Oscar Isaac est Victor Frankenstein dans l’adaptation de Guillermo del Toro du célèbre roman de Mary Shelley. © Ken Woroner/Netflix 2025

Le réalisateur mexicain Guillermo del Toro a enfin concrétisé une obsession vieille de plusieurs décennies: adapter Frankenstein. Sa version, à la fois personnelle et fidèle au classique de Mary Shelley, débarque sur Netflix.

Frankenstein

Disponible sur Netflix.

Film d’horreur de Guillermo del Toro. Avec Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth. 2h30.

La cote de Focus: 3/5

Guillermo del Toro aime les monstres. Peut-être un peu trop. Son Frankenstein est une bromance épique entre Victor (Oscar Isaac) et sa créature (Jacob Elordi, première version sexy du monstre) dans un bal costumé gothique avec Netflix comme fournisseur. Les décors débordent de détails baroques, les couleurs brillent comme de l’émail et chaque plan pourrait figurer sur l’affiche. Pour ceux qui ont oublié le mythe: le jeune docteur Frankenstein donne la vie à une créature faite de morceaux de cadavres assemblés et en paie le prix de son âme. Del Toro y ajoute un fabricant d’armes cupide (Christoph Waltz) et une Elizabeth plus moderne (Mia Goth), qui semble sortie de Crimson Peak plutôt que du roman de Mary Shelley. Le résultat est un psychodrame opulent sur les pères, les fils et le sentiment de culpabilité. C’est à la fois trop et trop peu. Une réanimation au grand cœur, mais avec un pouls trop faible.

D.M.

Guillermo del Toro a stupéfié le monde avec Le Labyrinthe de Pan, a offert à Hollywood des blockbusters comme Hellboy, Pacific Rim ou Nightmare Alley et a remporté plusieurs Oscars avec La Forme de l’eau. Mais tout cela semble un peu terne comparé à son plus ancien et plus grand désir: réanimer à son tour Frankenstein. Grâce au financement de Netflix et à la participation de talents comme Jacob Elordi, Oscar Isaac et Mia Goth, son rêve s’est enfin réalisé, après un demi-siècle d’attente.

Son Frankenstein, baigné de romantisme gothique, d’horreur charnelle et d’une symbolique foisonnante, est un festin visuel qui porte indéniablement sa marque, sans pour autant trahir l’œuvre originelle: le roman bicentenaire de Mary Shelley où le docteur Victor Frankenstein tente de rivaliser avec Dieu mais ne parvient pas à s’accorder avec la créature qu’il a tirée de la matière morte.

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Qu’est-ce qui fait de Frankenstein un mythe moderne? Pourquoi ne nous en lassons-nous jamais?

Guillermo del Toro: Parce que Mary Shelley ne fait qu’un avec son livre. Elle est Frankenstein. D’une manière étrange, elle a déversé dans ce roman toute sa colère, toute sa tragédie, son besoin d’amour, son désir d’être comprise et toute la rage –contenue ou non– qu’elle éprouvait envers son père. Même le fait qu’elle ait fui la maison à cinq heures du matin pour partir explorer le continent européen avec le poète Percy Shelley s’est retrouvé dans le livre. Frankenstein est sa biographie, intime et puissante. La fusion entre la vie et la mort habitait profondément son existence: sa mère est morte onze jours après sa naissance et elle-même subira plusieurs fausses couches. Elle a mis toute son âme dans son œuvre. L’art ne naît vraiment, ne se transcende vraiment, que lorsque l’on s’y investit totalement.

Comment avez-vous fait de Frankenstein votre propre film?

Guillermo del Toro: Quand on demande à un musicien combien de temps il faut pour écrire une chanson, il répond souvent: «Quinze minutes pour la coucher sur le papier, mais toute une vie pour y arriver.» C’est pareil pour moi. Adapter, ce n’est pas de la chimie, ce n’est pas une recherche calculée d’équivalences. Adapter, c’est de l’alchimie. On cherche sa propre voie avec tout ce qu’on est. Mary Shelley a mis tout son être, toute sa vie dans son roman. Est-ce que je ferais de même pour mon film? Faire semblant de suivre ses instincts à elle n’a aucun sens. Il faut suivre ses propres instincts.

«Les monstres m’aident à comprendre le monde», avez-vous déclaré il y a quelques années. Vos n’étiez pas fan des saints catholiques quand vous étiez enfant, mais vous compreniez le monstre de Frankenstein. Qu’est-ce que vous compreniez au juste? Et portez-vous aujourd’hui un autre regard sur le monstre?

Guillermo del Toro: Cette compréhension fondamentale était intuitive et spirituelle. Les monstres, comme les dogmes ou la foi, vous imprègnent ou pas. Moi, ils m’ont imprégné. Ils sont devenus une partie de mon ADN, de mon être. Ce n’est pas quelque chose que j’ai appris, ni quelque chose qui a évolué avec l’âge. Je le ressentais ainsi enfant, et je le ressens encore aujourd’hui. Mais évidemment, je ne suis plus le même créateur qu’il y a 20 ans. Autrefois, j’aurais peut-être fait une fable sur les bons monstres et les mauvais humains. Ce Frankenstein-ci n’est certainement pas ça. Le monstre est capable de tuer des gens, et en même temps, on est censé comprendre Victor Frankenstein, au moins un peu. Il est à la fois le héros et l’antagoniste. C’est un thème qui me hante depuis La Forme de l’eau et Nightmare Alley. Je donne désormais plus de complexité à mes personnages humains, je montre autant leur part monstrueuse que leur part humaine.

Si vous ne craignez pas les monstres, de quoi avez-vous peur au quotidien?

Guillermo del Toro: Une des choses les plus effrayantes et les plus abominables pour moi, ce sont les gens qui feignent une certitude absolue sur la manière dont les choses devraient être. Ce n’est pas leur vision du monde en soi, ni la solidité ou la faiblesse de leur raisonnement qui m’effraient, c’est l’assurance avec laquelle ils veulent remodeler le monde selon leur propre image. Un politicien, un scientifique, un tech bro: quiconque veut imposer sa vérité , définir comment le monde doit fonctionner, me glace le sang. Et les exemples ne manquent pas ces derniers temps.

© Ken Woroner/Netflix 2025.

Dans votre film, Victor Frankenstein n’a pas une bonne relation avec son père autoritaire. À son tour, il se montre très agressif envers sa créature, et cela mène au désastre. Ce cycle de violence entre parent et enfant est-il un thème chez vous? Quelle était votre relation avec votre propre père?

Guillermo del Toro: La violence est toujours présente. On ne peut pas échapper au premier acte de violence en tant que parent. Par le simple fait d’exister, et d’être infiniment plus grand, on projette involontairement une ombre immense sur son enfant. Pour un enfant, le monde est trop grand. Tout est disproportionné: les chaises, les portes, les escaliers… Le monde a quelque chose d’impitoyable: en tant qu’enfant, on a l’impression de ne pas y trouver sa place. Et c’est exactement ce que ressent la créature. D’une manière miltonienne, elle est jetée dans un Paradis perdu inexistant. Elle commet, selon le credo romantique, le péché originel: vivre. Mais elle ne comprend rien. Comme un enfant. Pourquoi mon père est-il en colère? Pourquoi ma mère est-elle fâchée? Pourquoi mon père est-il satisfait? Pourquoi ma mère est-elle contente? On ne comprend rien à tout cela au départ, et cette expérience façonne votre psyché.

«Je donne désormais plus de complexité à mes personnages humains, je montre autant leur part monstrueuse que leur part humaine.»

Que voulez-vous dire par là?

Guillermo del Toro: Même sans violence physique, l’influence d’un père reste immense. Je n’ai pas été brutal avec mes enfants, mais cela n’enlève rien au fait que mon ombre était gigantesque. Je veux dire que ne pas reproduire les mêmes erreurs, ne pas transmettre la même violence, ne signifie pas qu’on n’en commet pas d’autres. Le plus grand cadeau qu’on puisse recevoir, c’est la sagesse de ses enfants lorsqu’ils vous disent où vous vous êtes trompé. De cela peut naître une forme de rédemption. D’une certaine manière, c’est ce que je veux exprimer et retenir à travers mon film: sachez qu’en écoutant, vous apprendrez infiniment plus.

Pour incarner le monstre, vous avez fait appel à Jacob Elordi. Un choix plutôt surprenant: le géant charismatique de Saltburn, Euphoria et Priscilla n’a rien d’un laideron.

Guillermo del Toro: Ce qui comptait le plus pour moi, c’étaient ses yeux. Jacob a de magnifiques yeux capables d’exprimer une pureté et une innocence absolues. Il regarde comme un enfant: ses yeux captent tout. C’est aussi un acteur très intelligent, et c’était nécessaire. Il devait essayer de ne rien jouer, et c’est extrêmement difficile.

Quelles consignes lui avez-vous données?

Guillermo del Toro: En général, un acteur réfléchit à la façon dont il veut aborder son rôle. Jacob, lui, devait être une page blanche. Ne pas jouer, ne pas savoir ce qui allait se passer ni comment il allait réagir. Simplement être. Pour se préparer, il s’est initié au butō, la danse japonaise qui vise à «réanimer» le corps. Nous nous sommes aussi plongés dans les stades de développement d’un bébé, dans le comportement animal, etc. Pour être clair: j’ai fourni les ingrédients, mais c’est lui qui a cuisiné. La créature, c’est sa création.

© Ken Woroner/Netflix 2025.

Le clou du film , c’est la naissance de la créature. Vous la montrez dans toute sa splendeur, jusque dans les moindres détails. Ce n’est pas une scène d’horreur, mais un moment de beauté.

Guillermo del Toro: J’ai voulu montrer de manière très détaillée la cruauté anatomique qui conduit à une conception magnifique. Je n’ai jamais compris pourquoi Victor ferait un travail bâclé et créerait un être repoussant. Il a consacré des décennies de sa vie à cette œuvre, c’est son grand rêve. Comparez cela à un réalisateur qui sacrifie des années pour faire un film: bien sûr qu’on veut qu’il soit beau, bien sûr qu’on y met tout son savoir-faire. La création n’est donc pas un moment d’horreur, mais un moment merveilleux. Au lieu d’accompagner la scène de tonnerre et d’une musique d’épouvante, j’ai voulu en souligner la joie, le caractère festif, à travers une valse signée par le grand Alexandre Desplat (NDLR: compositeur français qui a notamment signé la musique de plusieurs film de Wes Anderson comme The Grand Budapest Hotel et The French Dispatch. Il a reçu un Oscar pour la musique de La Forme de l’eau de Guillermo del Toro).

Peut-on encore parler de monstre pour cette créature? Pourquoi cette rupture avec la tradition ?

Guillermo del Toro: Je trouve ça plus fort que la créature ne ressemble pas à un assemblage rafistolé, mais à un être humain nouvellement forgé. C’est essentiel à l’histoire: l’homme naît pur et intact, avant d’être détruit. Heureusement, Jacob Elordi, avec ses deux mètres, possède exactement les proportions d’un modèle anatomique parfait.

Après toutes ces décennies, vous avez enfin réalisé Frankenstein. Cela vous laisse-t-il un vide? Ou avez-vous encore d’autres rêves?

Guillermo del Toro: Je crois que chaque jour, des rêves meurent et d’autres naissent. J’ai déjà 61 ans, vous savez. Je commence à décliner un peu, à grisonner et à me ramollir ici et là (Rires). Avec la mort, avec la perte, on ne peut passer aucun marché. Il faut l’accepter. Ma philosophie est la suivante: si vous ne pouvez plus faire de sport, jouez aux échecs. C’est ainsi que je vois les choses en tant qu’artiste. Je ne peux plus faire les films de ma jeunesse, ni vouloir conquérir le monde, mais je peux faire mes films d’’aujourd’hui. Je m’adapte à ce que je peux et veux encore raconter. Je trouverai toujours un chemin, ou de nouvelles passions à explorer. Peut-être devrais-je donner sa chance au macramé (Rires).

4 versions de Frankenstein

Lorsque l’on se figure la créature de Frankenstein, il y a de fortes chances de voir apparaître le faciès grotesque et sinistre de Boris Karloff, interprète du monstre dans les deux chefs-d’œuvre de James Whale. Mais le roman de Mary Shelley entretient pourtant une relation bien plus vaste avec le 7e art.

Frankenstein s’est échappé – Terence Fisher (1957)

L’horreur des années 1950 a été profondément marquée par l’esthétique gothique de la société de production Hammer, qui adaptait à l’époque tous les monstres cultes –Dracula, le loup-garou, Mr. Hyde. Au milieu de ce bestiaire, la version de Frankenstein tire son épingle du jeu grâce à sa noirceur: le Victor interprété par Peter Cushing est une expression du mal à l’état pur, tandis que la créature de Christopher Lee s’avère d’une cruauté incontrôlable, complètement dépourvue du pathétique que lui insufflait Boris Karloff.

Frankenstein Junior – Mel Brooks (1975)

Outre les films d’horreur, l’histoire de Mary Shelley a très vite été affiliée à la comédie –dès Deux nigauds contre Frankenstein, en 1948. Mais la meilleure parodie est sans aucun doute celle de Mel Brooks en 1973. Tourné en noir et blanc, avec une indéniable passion pour l’horreur gothique, Frankenstein Junior constitue à la fois une comédie irrésistible et un hommage sincère au cinéma de série B, où les motifs les plus iconiques du genre sont tournés en dérision par une mise en scène cartoonesque. 

Mary Shelley’s Frankenstein – Kenneth Branagh (1994)

Écrit dans la foulée du Dracula de Francis Ford Coppola, le Frankenstein de Kenneth Branagh ne connut pas le même succès. Pourtant, si le film n’est à pas un chef-d’œuvre, il a le mérite de conserver l’aura tragique et les réflexions existentielles du roman original. On retiendra particulièrement l’interprétation fragile de Robert De Niro en créature, qui donne au film ses scènes les plus macabres et déchirantes.

Frankenweenie – Tim Burton (2012)

Ni une parodie ni une adaptation, le Frankenweenie de Tim Burton est une déclinaison où le monstre cède sa place à un chien mort-vivant. Une hommage qui singe évidemment Frankenstein mais également Gremlins, Godzilla et tout un pan de l’horreur fauchée. Doté d’un stop-motion sublime et d’une direction artistique de haute volée, le film est un plaisir modeste mais charmant, idéal pour initier les plus jeunes aux séries B. 

J.D.P.

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