Dans Ballad of a Small Player, Colin Farrell joue, boit et mange comme si c’était son dernier jour. L’acteur irlandais retraçait son parcours mouvementé lors d’une masterclass au Festival du film de Zurich. On y était.
Ballad of a Small Player
Disponible sur NETFLIX
Thriller d’Edward Berger. Avec Colin Farrell, Fala Chen, Tilda Swinton. 1h42.
La cote de Focus: XXXX
XXX
J.D.P.
Il n’y a «rien de subtil» dans Ballad of a Small Player, c’est «un assaut tonitruant et incroyablement bruyant des sens». Ce ne sont pas les critiques qui le disent, mais bien Colin Farrell, lors d’une masterclass au Festival du film de Zurich. L’acteur est venu y parler du drame sur les jeux d’argent réalisé par Edward Berger, le cinéaste allemand qui s’est fait connaître grâce aux films multirécompensés A l’Ouest rien de nouveau et Conclave.
L’acteur de Minority Report, The Penguin et The Lobster y livre une performance débridée dans le rôle d’un joueur couvert de dettes, devenu persona non grata dans les casinos de Macao, le Las Vegas chinois. «En lisant le scénario, j’avais déjà la nausée», plaisante l’acteur, qui compare son personnage à «une voiture dont le moteur tourne dans le rouge et qui peut lâcher à tout moment»: «Il est constamment angoissé, fébrile, dominé par une frénésie qu’alimentent le désespoir, la solitude, la tristesse et un manque écrasant de sens dans sa vie. Il est incapable d’établir la moindre connexion avec quoi ou qui que ce soit. Seule compte la prochaine montée d’adrénaline. » Tourner à Macao a été une expérience intense. «Je n’aime pas dire ça, parce que jouer la comédie n’est pas un métier difficile, mais à la fin du tournage, tout le monde était à bout», explique l’acteur. Macao se compose d’un ancien quartier de pêcheurs et d’une ville avec de magnifiques vieilles églises, des ruelles venteuses et des restaurants familiaux. «Mais entre ces deux parties, se trouve un paradis pour les jours joueurs. Un quartier incroyablement coloré et bruyant, rempli de casinos, de fontaines, de musique de Céline Dion et de répliques de monuments célèbres comme la tour Eiffel ou Big Ben. Là-bas, tout tourne autour de l’argent, l’argent, l’argent.»
Foot et théâtre
Jusqu’à ses 13 ans, Colin Farrell voulait devenir footballeur, comme son père, membre du club dublinois Shamrock Rovers. Ce rêve s’est évanoui lorsqu’il a commencé à «boire, fumer et faire toutes ces autres choses». Suivant l’exemple de sa sœur aînée, il s’inscrit alors dans une école de théâtre, mais abandonne lorsqu’il décroche un rôle dans la série irlando-britannique Ballykissangel. «Ça m’a donné l’occasion de faire ce que je fais le mieux: laisser tomber. Quelqu’un d’un peu plus raisonnable ou patient aurait continué les cours pour apprendre le métier. Moi, je me suis dit fuck it et je suis parti.»
«De mes 22 à 27 ans, je n’ai fait que travailler, boire et d’autres choses du genre. Je n’avais pas de base.»
Mais Ballykissangel a rencontré un vrai succès. «Ce n’était ni profond ni complexe, mais je passais à la télé. Et ça, c’était formidable.» Sa vie change quand le réalisateur Joel Schumacher lui confie le rôle principal dans Tigerland, un film sur de jeunes hommes préparés à la guerre du Vietnam. Tigerland n’est pas un grand succès, mais Farrell y est remarqué. Steven Spielberg l’engage ensuite dans Minority Report aux côtés de Tom Cruise. Oliver Stone voit en lui un Alexandre le Grand, Michael Mann le choisit pour Miami Vice, et Terrence Malick lui confie le premier rôle dans The New World. On le retrouve aussi dans des thrillers d’action comme Phone Booth, S.W.A.T. ou The Recruit avec Al Pacino. «Tout à coup je travaillais avec les gens que j’admirais enfant. J’avais 9 ans quand j’ai vu Tom Cruise dans The Outsiders et Top Gun. Et à peine lancé comme acteur de cinéma, je jouais déjà avec Al Pacino. Complètement dingue.»
Colin Farrell est emporté par le tourbillon du succès. «J’ai eu une chance incroyable, mais… c’était tellement immense, et j’étais tellement peu préparé, tellement immature. Il y avait beaucoup de choses que je ne comprenais pas.» L’acteur fume, boit, jure à tout-va et finit par se faire une mauvaise réputation à Hollywood. «À un certain moment, on a cessé de m’appeler. Je n’allais pas bien. J’étais loin de mes amis et de ma famille. J’ai manqué des naissances, raté des enterrements. J’étais toujours ailleurs. De mes 22 à 27 ans, je n’ai fait que travailler, boire et d’autres choses du genre. Je n’avais pas de base.» Il remet sa vie sur les rails vers 2005 en renonçant à l’alcool et aux drogues.
Renaissance à Bruges
Un nouveau volet de sa carrière démarre quand le réalisateur Martin McDonagh lui demande d’incarner un tueur à gages dépressif dans une comédie noire qui se déroule en grande partie à… Bruges. «Le scénario était brillant et c’est justement pour ça que j’ai essayé de convaincre Martin de ne pas me choisir. Je traînais une sale réputation, ça pouvait éloigner les gens ou les induire en erreur. Mais Martin m’a dit: « Tu n’es pas directeur de casting, je veux que tu le fasses. »» In Bruges (2008) devient un film culte. En 2022, Martin McDonagh, Colin Farrell et leur complice Brendan Gleeson se réuniront pour une deuxième collaboration: le très réussi The Banshees of Inisherin.
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Colin Farrell enchaîne alors des films Disney comme Saving Mr. Banks (2013) ou Dumbo (2019) de Tim Burton, Total Recall: Mémoires programmées (2012), The Beguiled (2017) de Sofia Coppola, la deuxième saison de True Detective (2015) et les films de Yórgos Lánthimos The Lobster (2015) et The Killing of a Sacred Deer (2017). «Je me souviens encore de notre première conversation via Skype. Elle a duré une heure et il n’a pas dit dix mots. Yórgos sait parfaitement se taire. Mais en tant que réalisateur, c’est un maître conteur.»

Dans The Batman (2022) et la série dérivée The Penguin (2024), Colin Farrell est méconnaissable dans le rôle d’Oswald Cobb, le futur Pingouin. Lorsque le réalisateur Matt Reeves lui a proposé le rôle dans The Batman, l’acteur a d’abord été un peu déçu. «Je n’avais que cinq scènes et je trouvais Cobb assez unidimensionnel, un peu loser.» L’hésitation a fait place à l’enthousiasme lorsqu’il a vu pour la première fois à quoi il ressemblerait. «Chaque cicatrice, chaque imperfection, semblait raconter une histoire. C’est très puissant de se regarder dans le miroir et de voir quelqu’un d’autre vous regarder en retour.»
Colin Farrell jouera à nouveau le Pingouin dans The Batman: Part II, même s’il n’aime pas répéter deux fois le même rôle. «Je ne réfléchis pas à ce qui serait l’étape suivante la plus intelligente dans ma carrière, mais il ne m’en faut pas beaucoup pour avoir le sentiment de me répéter. Alors je préfère choisir des choses que je n’ai jamais explorées auparavant.» Comme un addict au jeu à Macao, par exemple.
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