Comment Atlanta s’est muée en un portrait au vitriol de l’Amérique
La saison 2 d’Atlanta explose les formats et les conventions pour mieux dépeindre une Amérique zarbie et malade. Black vision…
Elle vient de débarquer sur les écrans belges via BeTV. La deuxième saison d’Atlanta est un énorme uppercut. Une putain de droite à la face de l’Amérique et de la télé qu’elle laisse toutes deux au tapis. K.O. Groggy. Atlanta, c’est la série de Donald Glover, connu par les amateurs de hip-hop sous le nom de Childish Gambino. Censée raconter les aventures d’un rappeur et dealer, Alfred alias Paper Boi (Brian Tyree Henry), et de son cousin et manager Earn (Glover himself), Atlanta s’est muée en portrait au vitriol de l’Amérique. Si la première cargaison dépeignait en 2016 les (més)aventures du tandem au beau milieu de l’industrie musicale, la deuxième voit nettement plus large et explose tous les codes et les formats.
C’est quoi Atlanta? Question piège que vous avez évitée de peu autour de la bûche de Noël et des coupettes du Nouvel An. Les onze nouveaux épisodes d’une demi-heure (plus ou moins) n’ont quasiment rien à voir les uns avec les autres, ne baignent pas dans les mêmes ambiances et ne suivent d’ailleurs pas nécessairement les personnages qu’on s’attend à y voir. Atlanta change en permanence de rythme, de couleur et d’humeur. Teintée d’un humour décalé, Atlanta peut se permettre un braquage à la Michael Mann. Cadrer un épisode de rupture sentimentale dans une Oktoberfest américaine. Être gentiment prise en otage par un coiffeur. Plonger avec le grain d’image qui va avec dans l’adolescence de deux de ses héros (un épisode carrément dramatique) comme jouer avec les films d’horreur et d’angoisse.
C’est l’histoire la plus dingo de cette deuxième fournée. Teddy Perkins. Épisode numéro six. Darius, le pote illuminé et complètement perché de la bande incarné par le formidable Lakeith Stanfield (Snoop Dogg dans le film Straight Outta Compton), s’en va récupérer un piano dans un manoir chez un mec carrément flippant. Une espèce de croisement entre Michael Jackson (« ce négro est plus blanc que le zgueg de John Wayne…« ), l’homme mystère de Lost Highway et Winslow Leach, le Phantom of the Paradise de De Palma… Teddy Perkins, ce personnage fictionnel, assez terrifiant, qui a prévu d’ouvrir un musée en hommage à son père autoritaire et tortionnaire (oui, oui, une espèce de Joseph Jackson), a pas mal fait parler de lui. Il s’est d’ailleurs glissé en septembre à la remise des Emmy Awards où Atlanta était nominé dans huit des plus importantes catégories pour finalement s’en retourner bredouille (elle avait décroché une semaine plus tôt trois prix mineurs, notamment celui de best comedy guest actor, pour Katt Williams en tonton picole qui a un alligator pour animal de compagnie). Une présence d’autant plus étrange que Glover, censé incarner Perkins dans la série, se faisait prendre en photo avec cette star de toutes les prochaines fêtes d’Halloween…
Tout est permis
Déroutant? Ce n’est assurément pas le seul mérite d’Atlanta. Brillant, Glover y jette un regard acerbe sur la place du Noir dans la société américaine. Cette société où les Blacks ne peuvent pas payer avec des billets de 100 dollars et où on photocopie leur carte d’identité quand ils veulent utiliser leur carte de crédit. Cette société qui a un système éducatif à deux vitesses, l’ascenseur social en panne et le fric pour seule bouée de sauvetage…
Atlanta, c’est une série sur le fait d’être un Afro-Américain. Malin et éduqué ou super talentueux et voué au succès mais toujours englué dans la même merde. C’est aussi un recueil de réflexions ou à tout le moins d’observations sur les affres et les bienfaits de la célébrité, la vie, la mort, le culte de l’image, les réseaux sociaux, le star system (un épisode entier se déroule dans une fête chez Drake) et les fraternités étudiantes… Scène de maboule. Dans North of the Border, le neuvième épisode de la saison, Paper Boi est censé se produire sur un campus universitaire et après moult péripéties se retrouve à fumer des pétards dans un canapé (une de ses activités préférées) devant des Blancs en bizutage complètement à poil, sacs en toile de jute sur la tête, obligés de remuer la clinche et les fesses sur du rap. Le tout devant un immense drapeau confédéré, symbole populaire du Sud…
À l’image de sa tête pensante, la série Atlanta peut tout se permettre et elle ne s’en prive pas. L’an dernier, Glover a incarné Lando Calrissian dans un spin-off de Star Wars présenté à Cannes et a profité de la promotion du film pour lancer This Is America. Un morceau et un clip dans lequel il fustige l’insouciance et l’indifférence des États-Unis face au racisme endémique qui les habite. La cinquième vidéo à atteindre le plus rapidement les 100 millions de vues sur YouTube…
This Is America est truffé de références et il en va aussi ainsi d’ Atlanta. Des références très personnelles même parfois. Dans l’épisode Woods, où Paper Boi fait les magas de vêtements bourges et va chez la pédicure avant de se retrouver embarqué dans une chasse à l’homme (péripéties qui questionnent sa volonté de rester lui-même, loin des faux-semblants), il voit une apparition de sa mère. Celle de Brian Tyree Henry est décédée en mai 2016 et l’épisode lui est dédié. « Si les gens refusent d’ouvrir leur porte aux Noirs, rentrons chez eux par la télé« , déclarait-il dans des interviews l’an dernier. Soignée jusque dans ses moindres détails, avec forcément une BO aux petits oignons (même Flying Lotus et Thundercat s’en sont mêlés), Atlanta a tout pour les y aider.
Atlanta (saison 2), série FX créée par Donald Glover avec Donald Glover, Brian Tyree Henry et Lakeith Stanfield. ****
Le jeudi à 20h30 sur Be 1 et disponible sur Be à la demande.
>> Lire également notre petit tour d’horizon des séries afro-américaines.
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